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Coulibaly

Qui a fourni des armes à Coulibaly? L’attentat de Charlie Hebdo et celui de l’hypercasher ont-ils livré tous leurs secrets? C’est évidemment un sujet délicat sur lequel règne non seulement une omerta mais aussi une véritable terreur: l’accusation de complotisme n’est jamais loin et, par un extraordinaire retournement des valeurs démocratiques, la recherche de la vérité est volontiers discréditée par une obscure préférence pour le secret et le mensonge. Le blocage de l’enquête sur le trafiquant d’armes Claude Hermant en donne un nouvel exemple.

L’affaire Claude Hermant

Récapitulons. Le 7 mai 2014 (8 mois avant les attentats, donc), le parquet de Lille ouvre une information judiciaire contre Claude Hermant, soupçonné de remilitariser des armes. Le gaillard est une figure du milieu identitaire, ancien paracommando. Il est aussi le dirigeant de la société Seth Outdoor, installée à Haubourdin, dans la banlieue de Lille, recommandée par le Petit Futé pour la vente en ligne de produits paramilitaires.

Dans la pratique, la justice soupçonne Seth Outdoor de servir de couverture à des activités de trafic d’armes. Dans ce cadre, un juge d’instruction lillois délivre, le 18 décembre 2014, une commission rogatoire internationale pour éclaircir le dossier. Manifestement, Hermant travaille beaucoup avec des Belges et le juge lillois aimerait en savoir plus.

Claude Hermant et la police

A cette époque, Hermant est tout sauf un inconnu pour les services de police. Proche des milieux nationalistes flamands, il fonde à Lambersart la Vlaamse Huis, où il croise un certain Yoann Mutte, impliqué dans l’attaque d’un bar gay à Lille. Il a en outre fait partie du service d’ordre du Front National.

Plus étonnant, et plus gênant, semble-t-il, il connaît bien les services de sécurité français. Il a fait de la prison au Congo pour avoir trempé dans une affaire coup d’Etat.

Dans le dossier instruit par le juge lillois, quelques mails suscitent très vite des interrogations sur le rôle « d’indic » que jouerait Hermant.

De nombreux mails échangés entre le prévenu et L.B., un gendarme, permettent de le penser. Le 7 mai 2014 à 17 h 35, Claude Hermant écrit (1) : « En bossant, je suis tombé sur un fusible à nous… Ce fusible même (sic) à des très gros poissons (Serbie et autres)… Tiens-moi au courant de ce que vous faites avec ces infos… Voilà les deux immatriculations… » Suivent… trois numéros de plaque. Claude Hermant demande que des vérifications soient faites. « Y-a-t-il des casiers jud au bout de ses immats », interroge-t-il le 9 mai 2014 ? La réponse de la gendarmerie tombera le 26 mai : « … Je regarde tes infos et reviens vers toi au plus vite, sinon tout va bien, nous sommes pris sur un autre dossier très important d’où la longueur des investigations ».

Un autre mail d’Hermant à un gendarme,  du 27 octobre 2014, sème le trouble:

« J’espère que vous avez eu le temps de travailler un peu sur les infos données… C’est une petite usine de remise en état qui est en place. Un dénommé R… propose du matériel sur Lille sud et bd… Cela va du scorpion à la kalach et autres 9 mn para… »

En novembre 2014, le gendarme lui répond:

« Salut Claude, nous avons vu avec notre hiérarchie, nous sommes partants pour les deux dossiers que tu nous as présentés (armes-Charleroi) », répondent les gendarmes, en novembre.

Autrement dit, pendant que le juge lillois s’affaire sur les trafics d’Hermant, la gendarmerie du Nord semble parfaitement informée de ses activités et maintient avec lui les meilleures relations du monde.

Claude Hermant et Coulibaly

Tout se corse après les attentats de janvier 2015. Selon Mediapart, dès le 14 janvier les renseignements slovaques ont identifié les armes de Coulibaly, sans susciter la moindre réaction des services français. Les renseignements des Slovaques incriminent Claude Hermant, qui auraient acheté les armes, avant de les remilitariser, à la société slovaque AGF Security.

Selon les expertises techniques consultées par Mediapart, il s’agit bien des armes des crimes : un fusil d’assaut VZ 58 Compact, de marque CZ (Kalachnikov) – numéro de série 63622F –, et deux pistolets semi-automatiques Tokarev TT33 – numéros de série RK07 et O2027 –, retrouvés près du corps d’Amely Coulibaly, le 9 janvier, dans le supermarché Hyper Cacher. Avec ces armes, le terroriste a tué quatre personnes et en a blessé gravement quatre autres dans le magasin, mais l’expertise balistique montre qu’une victime a aussi été blessée à Fontenay-aux-Roses avec l’un de ces Tokarev, et que la policière de Montrouge a été touchée par les balles de l’un de ces fusils d’assaut. Deux autres Tokarev – numéros de série TE1035 et EB1574 – achetés par l’entreprise lilloise ont aussi été retrouvés dans l’appartement du terroriste à Gentilly. Ces armes neutralisées en Slovaquie ont été reconditionnées pour tirer, sans que l’on sache précisément qui dans le réseau, ou les clients du réseau, opérait la remise en état.

Pourquoi les juges antiterroristes n’ont-ils pas opéré à ce moment-là? Pourquoi ne se sont-ils pas intéressés à Seth Outdoor, qui semble la cheville ouvrière du trafic?

C’est en effet la justice lilloise et non la justice anti-terroriste qui neutralise le 20 janvier 2015 Claude Hermant, en le mettant en garde à vue puis en détention provisoire après une mise en examen pour « trafic d’armes en bande organisée ». Une série de perquisitions est alors lancée en France et en Belgique, dans l’espoir de découvrir notamment une cache d’armes et d’explosifs:

Ces investigations, sur commission rogatoire internationale d’un juge lillois, ont ainsi débouché sur une spectaculaire descente de la police belge, mardi soir, à Comines-Belgique : une trentaine d’habitations situées le long de la Grand-Rue ont été évacuées en urgence. D’après les premiers éléments recueillis sur les lieux, il s’agissait d’une « importante opération » visant à « sécuriser » un domicile pouvant servir de cache d’arme. Sur place, de nombreux policiers belges ainsi que leur service de déminage étaient présents.

Les juges lillois décident d’entendre les « contacts » qu’Hermant balance depuis sa prison, notamment un gendarme du Nord. Celui-ci oppose alors le secret défense aux juges d’instruction.

Cazeneuve impose le secret défense

Le 10 avril 2015, les juges demandent à Bernard Cazeneuve de lever le secret sur les éléments détenus par les gendarmes. Le ministre saisit la Commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN) le 1er juin, qui rend sa réponse le 18 juin: les documents ne peuvent pas être déclassifiés…  Le ministre suit l’avis de la commission et décide de bloquer, de fait, l’enquête des juges lillois.

La décision est évidemment fâcheuse, dans la mesure où l’on aimerait comprendre comment un personnage aussi sulfureux, roulant manifestement pour la gendarmerie, a pu, en même temps, approvisionner en armes l’un des terroristes de janvier 2015.

Les autres intermédiaires de Coulibaly

Mediapart a par ailleurs la bonne idée de fournir quelques renseignements sur ceux qui ont aidé Coulibaly à faire son attentat.

On notera en particulier un proche du PKK, Metin Karasular, garagiste à Charleroi, qui a racheté, en novembre 2014, l’Austin Mini de la femme de Coulibaly, Hayat Boumedienne (l’intéressée, au chômage, aurait bénéficié d’un prêt bancaire pour acheter quelques semaines auparavant cette voiture à 27.200 euros). Perquisitionné dès le 12 janvier, l’intéressé est connu pour ses activités de trafic d’armes. Il aurait pu approvisionner les Coulibaly en échange de cette voiture. La police retrouve d’ailleurs chez lui des listes d’armes, dont une correspondrait à l’arsenal de Coulibaly. Mais la justice n’a pas suivi cette piste, et le bonhomme a retrouvé sa liberté.

Un autre intermédiaire pourrait être Patrick Hallveht, toujours selon Mediapart.

Dès le mois de janvier, le numéro de série (21038 M) d’un deuxième fusil d’assaut VZ 58 Compact retrouvé dans le supermarché de la porte de Vincennes permet aussi d’identifier un ingénieur belge de 52 ans, Patrick Hallveht. Selon les informations transmises par les autorités slovaques, Hallveht a acheté ce fusil, le 13 janvier 2014, en passant par la même société slovaque AGF Security. Or cet homme, jusque-là inconnu des services de police, fait précisément partie des contacts livrés aux gendarmes de la section de recherche de Villeneuve-d’Ascq par Hermant, courant 2014.

Mais de tout cela, nous ne pourrons entendre parler, car le tout est classé « confidentiel défense ».

 

http://www.eric-verhaeghe.fr