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Jean-Daniel Clavel, consultant

Commerce international. Les efforts déployés par les institutions internationales et les pouvoirs publics contre les abus de position dominante, les concentrations ou les cartels pour assurer une concurrence libre et loyale sur les marchés sont régulièrement salués – à juste titre. Pourtant, dans bien des cas, les conditions dans lesquelles les entreprises – a priori multinationales – affûtent leurs armes pour être plus compétitives restent largement incontrôlables et incontrôlées: la globalisation des relations industrielles et commerciales offre aux grandes sociétés une panoplie d’instruments pour développer librement des avantages comparatifs exclusifs qui leur permettent d’intervenir en dehors des sentiers battus des législations traditionnelles, des avantages qui échappent largement aux PME. La philosophie à la base des normes mises en place par l’OMC et les Etats pour assurer une concurrence loyale est ainsi dépassée: pire, l’ouverture des marchés et l’introduction de la clause de la nation la plus favorisée – clause de non-discrimination, clé de voute de l’OMC – favorise en fait plutôt les grandes entreprises actives à l’international, et conduit à l’élimination des protections dont certaines PME peuvent avoir besoin de la part de leur Etat d’origine pour se développer. La structure du secteur privé dans plusieurs africains tend à le prouver.

Passons en revue quelques-unes des possibilités qui permettent aux grandes entreprises de profiter de conditions particulièrement avantageuses et d’intervenir en marge du cadre règlementaire fixé par les normes étatiques, sans pour autant le violer.

l La sous-traitance sur des marchés étrangers. La sous-traitance sur des marchés low costs permet de réduire considérablement les coûts de production et de disposer d’un avantage compa-

ratif indéniable par rapport aux autres concurrents, en particulier les PME qui ne disposent pas des réseaux appropriés et des ressources nécessaires pour de telles opérations. Dans bien de ces cas, les conditions de production sont mal connues ou insuffisamment surveillées (exploitation des employés, non-respect de la propriété intellectuelle, par exemple). Cette stratégie permet aussi d’éviter l’écueil du dumping.

l L’optimisation fiscale. Grâce à un réseau de sièges établis dans différents pays, une société peut optimiser ses déclarations d’actif et, surtout, moduler les déclarations en douane de ses exportations/importations en fonction des taux d’imposition des profits dans le/les pays de production et le/les pays de vente ou de consommation. La PME ne peut généralement pas en faire autant.

l Le financement. Au niveau du financement également, les conditions peuvent changer radicalement. La multinationale qui a besoin, par exemple, d’un financement de 20 millions pour développer un produit ou un marché étranger intervient sur le marché obligataire et obtient un financement au coût de 1% environ. La PME qui a besoin d’un financement de 5 millions pour développer un produit ou un marché étranger doit s’adresser à une banque pour obtenir un crédit. Ce crédit lui coûtera actuellement environ 8%, tous frais compris, suivant le niveau de risque de la PME. La différence est très substantielle: un coût de 200.000 francs pour un financement de 20 millions pour la multinationale – une bagatelle; un coût de 400.000 francs pour un financement de 5 millions pour la PME, le double du coût pour la multinationale – peut-être excessif pour la PME.

l Les «home markets». Le poids des «home markets» ne saurait être négligé non plus. Une société allemande qui veut intervenir sur le marché suisse dispose naturellement de son marché d’origine de plus de 90 millions d’habitants: une position de départ qui peut lui assurer une rente de situation importante et lui facilitera ses interventions sur les marchés étrangers. La PME, suisse ou danoise par exemple, n’a pas cette position de repli et ne dispose d’aucune flexibilité: la situation de concurrence est déséquilibrée.

l La fragmentation des marchés. La fragmentation des marchés favorise les multinationales, entre autres en permettant de dissimuler des ententes camouflant des cartels intervenant sur différents marchés. Les plus petites sociétés et les PME sont handicapées: elles n’ont pas la possibilité de mettre en place des stratégies flexibles dans différents lieux de production et de vente, prenant en compte les conditions spécifiques de ces marchés.

Ainsi, le libre accès aux marchés étrangers et la transformation des différents marchés nationaux en un marché mondial favorise les plus grandes sociétés au détriment des petites – en particulier de celle des petits pays et marchés. Le capitalisme d’Etat pratiqué par certains grands pays renforce encore cette tendance. La Suisse est directement concernée par ces développements: il en résulte une course effrénée vers l’innovation, laquelle nécessite des investissements importants. Les PME suisses pourront-elles encore longtemps, faire face à ces exigences croissantes? Et à quel prix?

La multiplication des Accords commerciaux régionaux (ACR) au sein de l’OMC montre la nécessité pour de nombreux pays africains, sud-américains et asiatiques en particulier, de contrôler les répercussions de la libre concurrence sur leur propre marché. Mais dans un même temps, certains de ces ACR permettent à quelques Etats de faciliter le développement pour leurs propres sociétés des avantages comparatifs exclusifs, au mépris de la concurrence loyale qu’ils prétendent promouvoir. Le projet d’accord de libre-échange entre les Etats-Unis et l’Union européenne risque fort de renforcer encore les déséquilibres actuels en matière de conditions de concurrence. Cette situation ambigüe montre les limites du multilatéralisme et pousse à la multipolarité.

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