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Richard Werly

François Fillon, Nicolas Sarkozy et Alain Juppé. «Sa seule chance réside dans les faux pas» de l’ex-président, résume un cadre. (AFP)

François Fillon, Nicolas Sarkozy et Alain Juppé. «Sa seule chance réside dans les faux pas» de l’ex-président, résume un cadre. (AFP)

A l’occasion de la sortie prochaine de son livre «Faire» (Ed. Albin Michel), l’ancien premier ministre français fend l’armure et défend, devant la presse, un programme de rupture qu’il espère imposer lors des futures primaires à droite

L’ancien premier ministre socialiste français Michel Rocard, que François Mitterrand s’employa avec succès à tenir à l’écart de l’Elysée, a coutume de distinguer deux catégories de dirigeants: «Ceux qui le veulent pour en profiter. Et ceux qui le veulent pour faire.» François Fillon, son lointain successeur à Matignon entre 2007 et 2012 sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, espère démontrer qu’il appartient à la seconde. D’où le titre de son livre* publié lundi et articulé «autour d’un fil rouge: la liberté».

La déception des années «Sarko»? La conséquence «d’un manque d’audace». Des engagements tenus, mais un climat détestable qui le conduisit à présenter «par deux fois sa démission de Matignon». Parce que les griefs de l’ex-chef de l’Etat à son encontre «risquaient de nuire dangereusement au fonctionnement de l’Etat», surtout après sa sortie, en 2007, sur la faillite des finances de la France.

Place, aujourd’hui, au candidat Fillon, résolu à se présenter à la primaire à droite prévue pour l’au­tomne 2016, et persuadé d’avoir un destin présidentiel. Avec à la clé beaucoup d’efforts personnels pour changer d’attitude à 61 ans, faire oublier son duel fratricide pour la présidence de l’UMP en 2012 et les accusations de «traître» que les sarkozystes lui collent à la peau. Avec, surtout, l’obligation de se réinventer, lui le gaulliste-souverainiste-étatiste, en défenseur de l’économie libérale et d’une «rupture» qu’il détaille dans son ouvrage: abandon des 35 heures de travail hebdomadaires; réduction drastique du nombre de ministres (entre 10 et 15); moins de parlementaires; simplification des territoires. Le tout, par la grâce d’un référendum multiquestions fondateur qui, s’il est élu en mai 2017 à l’Elysée, se tiendrait dès le mois de septembre suivant…

Résultat: François Fillon, qui n’aime guère les journalistes, s’est mis à les soigner et à «fendre l’armure» en évoquant, comme il l’a fait jeudi devant Le Temps , son tour de France des «vrais gens». «Je suis un vrai rural. Je sais ce que les complications administratives veulent dire dans les villages, dans les quartiers, dans les entreprises, explique celui qui fut longtemps élu de la Sarthe. Je suis effaré de voir combien les Français n’ont plus confiance et combien la France, à cause de cet empilement de mesures, est devenue réfractaire au progrès.» Enfin un vrai réformateur? Un éditorialiste corrige. «Fillon est coincé. Il a toujours été un second, d’abord planqué derrière son mentor Philippe Séguin [décédé en 2010] puis derrière l’hyper-président Nicolas Sarkozy. Son principal problème est qu’il n’a rien fait, jusque-là, qui démontre sa capacité à passer du constat à l’action.»

Le discours est néanmoins rodé, presque osé. Rares sont ceux à reconnaître en France, comme le fait François Fillon, les mérites de Margaret Thatcher et de Gerhard Schröder. «Or, ils ont débloqué leurs pays qui étaient presque paralysés.» Difficile de trouver un dirigeant français qui réclame ouvertement de réengager d’urgence le dialogue avec le dictateur syrien Bachar el-Assad, qui affirme «comprendre» Vladimir Poutine et reconnaît «que la France est dépassée par la crise des migrants, d’où le risque d’un score faramineux du Front national aux prochaines élections régionales».

Alors? Un ange passe au-dessus de la tête de ce catholique convaincu, qui parle de sa foi dans son livre et ne s’est pas rendu au récent campus des Jeunes Républicains, car il baptisait sa petite-fille à l’abbaye bénédictine de Solesmes. «En réalité, résume un cadre des Républicains, sa seule chance réside dans les faux pas de Sarkozy, toujours empêtré dans les affaires, et dans la difficulté de Juppé à susciter une large adhésion. S’il gagne la primaire, ce sera par défaut.»

Lui y croit pourtant. A la condition d’une ouverture maximale du scrutin aux non-adhérents: «Est-ce qu’on sera capable de faire sortir pour voter des gens pas politisés», interroge-t-il. Les 10 000 bureaux de vote promis le rassurent un peu. Mais il a déjà acté que le parti présidé par Nicolas Sarkozy lui laissera peu d’espace: «Pour les gaullistes, l’élection présidentielle reste la rencontre entre un homme et le peuple. Le parti peut avoir un programme. Mais le candidat devra porter le sien.»

* «Faire», Ed. Albin Michel.

http://www.letemps.ch/