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Action Globale, crise des réfugiés, flux migratoires, Michael Moller
Le problème des boat-people vietnamiens semblait à l’époque aussi insurmontable que l’afflux de Syriens aujourd’hui. Et pourtant…
Au moment où les réfugiés continuent d’affluer, il est encourageant de constater que notre capacité à faire preuve d’humanité se manifeste enfin, grâce à la générosité des Allemands, des Serbes, des Autrichiens et d’autres citoyens européens, en particulier les Grecs et les Italiens. A l’instar du Liban, de la Jordanie, de la Turquie et de l’Égypte, ces pays et ces individus montrent fièrement l’exemple. Nos dirigeants commencent aussi à écouter leurs électeurs et à remettre en question les propos qui s’élèvent contre l’immigration.
Le discours narratif concernant les réfugiés et les migrants commence à changer pour laisser place à un tableau beaucoup plus proche de la réalité, à savoir que les pays d’accueil et d’origine en tirent de nets avantages économiques et sociaux. Par ailleurs, les pays européens et d’autres économies développées ont besoin de l’immigration pour combler leurs besoins actuels et futurs en main-d’œuvre qualifiée et non qualifiée. Ces signes sont encourageants, mais ce n’est pas suffisant! Tous les pays doivent faire leur part.
Si nous devons trouver une solution mondiale, rappelons-nous que ce n’est pas la première fois que nous faisons face à un exode de réfugiés d’une telle envergure, nous n’avons qu’à penser, dans les années 80, aux boat-people vietnamiens. Ils ont été des milliers à s’aventurer sur la mer pour atteindre les côtes de pays voisins, dans l’espoir de poursuivre leur périple jusqu’aux États-Unis, au Canada ou vers d’autres pays. Des milliers ont péri en cours de route, les passeurs se sont remplis les poches et les pays de premier asile ont fermé leurs frontières. Le problème à l’époque semblait aussi insurmontable qu’aujourd’hui. Et pourtant…
Un dynamique groupe d’employés du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a proposé le plan d’Action Globale, qui fut approuvé lors d’une conférence internationale en 1989. Avec le soutien de la communauté internationale, ce plan a permis la mise en place d’un processus clair afin de mieux distinguer entre chercheurs d’asile et migrants économiques. Par ailleurs, des procédures ont été établies pour la réinstallation de réfugiés reconnus comme tels et le retour, dans des conditions humaines, des migrants économiques. Ce mécanisme a permis de réinstaller des milliers de réfugiés, qui sont devenus des membres productifs des sociétés qui les ont accueillis. C’est un excellent exemple de ce qui peut être accompli lorsque la volonté et les moyens sont réunis pour assurer, dans des conditions humaines et dignes, protection et aide à ceux qui fuient leur pays.
Pour que cette même approche réussisse aujourd’hui, il faudrait prendre un certain nombre de mesures:
l Mettre en place des centres de réception et de filtrage dans les pays de transit stratégiques, comme la Turquie, la Grèce, l’Italie, voire la Tunisie (ou encore la Libye lorsque les conditions le permettront); le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCNUR) et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) se chargeraient des réfugiés et migrants dans le respect des procédures internationales universelles relatives à l’établissement du statut de réfugié, à la réinstallation ou au retour vers les pays d’origine, ainsi que de l’assistance aux migrants économiques.
l Renforcer temporairement les capacités de secours et de recherche en Méditerranée.
l Coordonner des programmes forts visant à stopper les réseaux de passeurs.
l Négocier des accords avec les pays d’origine des personnes dont il a été établi qu’il s’agit de migrants économiques, lorsque leur retour et leur réintégration peuvent se faire en toute sécurité.
l Financer ces mesures à l’échelle mondiale, aider à financer les coûts des premiers pays d’accueil comme le Liban, la Jordanie, la Turquie, la Grèce et l’Italie, et financer des interventions ciblées sur le développement dans les pays d’origine.
l Lancer des campagnes d’information ciblant les demandeurs d’asile potentiels et les migrants économiques afin de leur expliquer les procédures en voie d’être mises sur pied et les risques qui accompagnent la décision de quitter leur pays.
l Changer le discours narratif concernant les réfugiés et les migrants dans les pays d’accueil actuels et potentiels en se fondant sur des faits sociaux et économiques.
Bien appliquées, ces actions pourraient démontrer que les intérêts nationaux et personnels, l’humanité et la solidarité internationale peuvent être réunis pour en arriver à une solution gagnante pour tous.
Mais tout ceci ne permettra que de traiter le pic temporaire actuel. Nous ne devons pas perdre de vue l’ensemble des tendances migratoires à long terme.
Sur le plan opérationnel, les agences qui traitent des questions d’asile et de migration sont débordées et sous-financées. Hormis le Forum mondial sur la migration et le développement, dont l’organisation n’est pas optimale, il n’existe aucune structure internationale formelle capable de proposer des politiques liées aux futurs flux de victimes de calamités naturelles (liées aux changements climatiques) ou résultant d’activités humaines, qui vont sans doute s’accroître.
En l’absence d’une telle entité, nous devons donner à Sir Peter Sutherland, le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour la migration et le développement, le mandat et les ressources pour catalyser l’action.
Pour commencer, nous pourrions envisager de mieux intégrer les travaux du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et de l’Organisation internationale pour les migrations en leur permettant de proposer de nouvelles politiques mondiales à long terme. Le Sommet sur l’aide humanitaire à Istanbul l’année prochaine, la rencontre imminente organisée par le Secrétaire général à New York dans quelques jours, ou la rencontre à La Valette en novembre des chefs d’État de l’Europe et de l’Afrique sont des enceintes idéales pour aborder ces enjeux.
Ce qui est tout aussi important c’est de revoir la relation actuelle entre l’aide au développement et l’aide humanitaire; cette aide doit davantage s’attaquer aux causes principales des problèmes humanitaires. Le Haut-Commissaire pour les réfugiés, Antonio Guterres, soutient vivement cette thèse, et nous devons lui apporter tout notre soutien.
Enfin, l’ensemble de cette action doit s’articuler autour des cadres stratégiques que le monde adoptera, ou a déjà adopté, cette année, à savoir les Objectifs du développement durable (ODD), l’accord sur les changements climatiques et l’accord sur la réduction des risques de catastrophes naturelles. Si nous mettons en œuvre avec succès les 17 ODD, nous serons éminemment mieux placés pour faire face aux futurs flux migratoires.
Chacun d’entre nous pourrait, un jour, avoir besoin d’asile. L’empathie et la générosité dont nous ferons preuve aujourd’hui, assorties de politiques adéquates, augmenteront considérablement nos chances d’en bénéficier nous-mêmes lors de catastrophes qui pourraient nous frapper à l’avenir.