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Écrit par BICHOT Jacques
Parce qu’ils ont oublié la distinction entre la loi et le règlement. Une distinction pourtant essentielle, comme l’ont expliqué des auteurs aussi différents que Montesquieu et Hayek. La complémentarité de ces grands esprits, à deux siècles de distance, est merveilleuse : l’un préconisait la séparation des pouvoirs législatif et exécutif ; l’autre offrait le moyen pratique de cette séparation en distinguant deux concepts, la « règle de juste conduite » et le « commandement ». S’ils avaient été entendus et suivis par la classe politique, le législateur serait en charge de coucher par écrit les principes que la sagesse populaire découvre, au fil des siècles, comme étant convenables pour encadrer les actions des membres d’une société humaine. Et le gouvernement, bien distinct du législateur, donnerait – dans le respect des lois – les ordres nécessaires pour assurer au quotidien la coordination des agents qui ne peut pas être obtenue au moyen des seuls principes généraux et d’institutions telles que le marché.
Cette particularité (la possibilité de recours au 49-3) de ce que nous appelons « loi de Finance » et « loi de financement de la sécurité sociale » rappelle que ce serait normalement à l’Exécutif – voire à une agence, en ce qui concerne les assurances sociales – de décider les dépenses et les recettes, dans le cadre des lois existantes. Mais nos institutions portent la marque de la lutte entre le pouvoir royal et le Parlement qui a dominé une partie de l’Ancien Régime. Pour manifester son existence et sa capacité à influencer le cours des événements, la stratégie du Parlement fut de « tenir » le Roi par les finances – le fameux « consentement à l’impôt ». Des siècles après le règne des Bourbons, il n’existe toujours quasiment aucune loi fiscale à proprement parler, c’est-à-dire aucune règle de juste conduite fiscale : le gouvernement est libre de faire à peu près n’importe quoi n’importe comment – à la seule condition de trouver un accord avec les assemblées, ou de faire entériner par ces dernières, sous la menace du 49-3, l’amas hétéroclite de commandements fiscaux en tous genres que nous avons sottement pris l’habitude de nommer « loi de finances ».
Les désastres de la Fronde auraient dû constituer une leçon suffisante pour nous détourner de la confusion institutionnalisée, disons même constitutionnalisée, entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Ce n’a pas été le cas. Nous avons deux pouvoirs, chacun d’entre eux exerçant ses fonctions à la fois au niveau législatif et au niveau exécutif. Et ce qui est vrai de la France l’est dans une large mesure de tous les pays développés. Les gouvernements essaient de gouverner au moyen d’un instrument qui n’est pas fait pour cela : la loi. À ce handicap fondamental, qui condamne l’Exécutif à une semi-impotence, s’ajoute l’absence de règles de juste conduite suffisamment précises, du fait qu’aucune institution n’est en charge de les découvrir et de les coucher sur le papier. La menace qui pèse sur nos libertés du fait que tout et n’importe quoi peut nous être imposé sans que nous soyons protégés par de véritables lois n’a même pas comme contrepartie l’efficacité. Au lieu de vivre dans des démocraties efficaces, nous vivons sous des semi-dictatures inefficaces.
Le désir de voter les lois plus rapidement est donc un excellent révélateur des malfaçons dont nos régimes politiques sont affligés. Certains commandements devraient être décidés et exécutés à la vitesse de l’éclair, comme sur un champ de bataille, et de cela nous sommes tragiquement incapables. Tandis que nos lois, limitées aux principes fondamentaux, devraient être pesées et réfléchies sans la moindre précipitation. Mais nous avons tout mélangé, et ce mélange indigeste risque de nous mener au désastre.