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Richard Werly

Michel Platini. Mythe national, parce que petit-fils d’immigrés italiens piémontais, devenu idole des stades de l’Hexagone, puis du monde entier. (Olivier Pon/Reuters)

Michel Platini. Mythe national, parce que petit-fils d’immigrés italiens piémontais, devenu idole des stades de l’Hexagone, puis du monde entier. (Olivier Pon/Reuters)

En France, il ne compte presque que des soutiens. Platini l’incorruptible, comme l’affirment ses partisans, est le meilleur candidat à la succession de Sepp Blatter. Mais les mythes n’ont pas que des amis…

Ses proches s’interdisent aujourd’hui de l’appeler «Président»! Ils respectent à la lettre les consignes de silence absolu. Comme si, en ces temps de FIFA dynamitée par les scandales, le rappel bruyant des responsabilités footballistiques de Michel Platini à la tête de l’UEFA n’était pas de bon augure pour la suite. Résultat: une «omerta» que même les mieux connectés des journalistes sportifs français ne parviennent à briser: «La consigne est venue d’en haut. L’entourage de Platini a demandé que l’on soit muet et qu’on évite les références trop présidentielles. Donc, on se tait. Dans l’attente que Michel décide lui-même de prendre la parole…»

«Michel», ce mythe français. Impossible, ces jours-ci, de ne pas buter sur la statue du commandeur dont l’ancien numéro 10 tricolore bénéficie dans l’opinion, la classe politique et la nomenklatura sportive de l’Hexagone. Prompt à lui apporter son soutien vendredi, dès que son nom a été lâché par la justice suisse en train d’enquêter sur Sepp Blatter, le premier ministre Manuel Valls l’a redit aux journalistes qui l’accompagnaient dimanche à la Fête de la rose de Bourg-de-Péage, dans la Drôme. «Il s’est lâché en off, raconte l’un d’entre eux: «Platoche, c’est la France, a-t-il dit. Et l’idée selon laquelle le meilleur tireur de coups francs de tous les temps pourrait être corrompu ne tient pas. Il n’a pas besoin de ça.»

Manuel Valls, fils d’un père catalan et d’une mère tessinoise, est né en 1962. Il a grandi avec Platini et son Onze mythique des Coupes du monde 1978, 1982 et 1986: Tigana, Giresse, Rocheteau… Il s’est surtout retrouvé, comme des millions de jeunes Français, dans l’itinéraire sans faute de «Platoche», né le 21 juin 1955 à Joeuf, en Meurthe-et-Moselle. «Platini, c’est l’image Panini par excellence. On l’avait tous dans nos albums et on le voyait évoluer en vrai», lâchait cette semaine avec l’accent rocailleux de l’est, devant les caméras de France 3, un «socios» nancéien, le club des supporters de l’AS Nancy-Lorraine, le club de ses débuts.

Mythe national, parce que petit-fils d’immigrés italiens piémontais, devenu idole des stades de l’Hexagone, puis du monde entier. Mythe républicain surtout: un père professeur de maths, une dévotion entière à l’équipe de France, un rôle réussi d’organisateur en chef de la Coupe du monde 1998 remportée par les «Bleus» de Zidane. Mythe sportif enfin, avec cette grandeur et ce supplément d’âme que conférera toujours à ceux qui se trouvaient ce jour-là sur le stade à Séville (Espagne) l’épique défaite de 1982 en demi-finale du Mondial contre l’Allemagne: «Platini, c’est la France qui perd après avoir tout donné. Donc la plus belle», aimait à répéter celui qui fut son mentor dans les arcanes internationaux du ballon rond: l’ancien président de la Fédération française de football Fernand Sastre, décédé le 13 juin 1998. La veille de l’ouverture du Mondial au Stade de France.

Qu’aurait dit «Monsieur Fernand» aujourd’hui? «Il aurait conseillé à Michel d’attendre, de faire le dos rond, de se préparer aux pires attaques, en particulier en provenance de Blatter», explique un vétéran de la Fédération. Il faut dire que les soutiens ne manquent pas. Jacques Vendroux, le fameux chef du service Sports de France Inter, répète partout que «Platini est incorruptible». «Platini peut entrer dans l’histoire comme un dirigeant exemplaire», complète l’universitaire Pascal Boniface, auteur de plusieurs livres sur la géopolitique du foot. A en croire cette thèse, l’ancien numéro dix de la Juventus de Turin peut, dans sa superbe villa de Cassis, près de Marseille, regarder passer les missiles de la FIFA sans les craindre: «Platini était riche avant d’accéder à l’UEFA. Il est profondément un «capitaine» d’équipe. Il n’aspire pas à devenir empereur», juge un ancien collaborateur de la FIFA. Et puis il y a ces larmes, cette proximité avec le petit peuple du foot qui, selon ses partisans, ne peut pas tromper. Lorsque le 28 avril 2015 Michel Platini pénètre dans l’église de Joeuf pour dire adieu à sa mère Anna, il est au bras de son père Aldo, suivi par Marine et Laurent, ses deux enfants. Le fameux congrès de la FIFA approche. Nous sommes à un mois de la descente de police à Zurich, et de l’arrestation de plusieurs hauts dirigeants du football mondial. Distant, Platini? Préoccupé? «Il était l’enfant de Joeuf que nous avons connu, explique Michel, l’un des meneurs des «socios» nancéiens. Il s’arrêtait à chaque rang. Il n’était pas le «président».

On voit poindre la comparaison. D’un côté, Blatter le «Suisse», l’apparatchik du foot, le «parrain» seul sur son trône vacillant, entouré d’affidés. L’héritier du système mis en place avant lui par le brésilien João Havelange. De l’autre, Platini, le «révolutionnaire», le «Che Guevara du foot», celui qui a imposé les règles financières du «fair-play» aux grands clubs européens tout en venant plaider leur cause au Parlement de Strasbourg.

Nous y étions ce 18 février 2009. En face de Platini, les eurodéputés avaient aiguisé leurs questions contre le foot dévoré par l’argent-roi. Ses répliques furent celles d’un politique: «Le foot est un sport. Vous ne pouvez pas lui appliquer les règles de la concurrence que vous imposez à Microsoft ou à Google. Les stades ne sont pas une salle de marché boursier.» Chiffres, salaires, budgets. Tout fut épluché: «Je ne crois pas que Platini aurait pu parler comme cela s’il avait eu des casseroles de corruption, juge le député européen britannique (travailliste) Richard Corbett.

Retour à Paris. Au 87 boulevard de Grenelle, les bureaux de la Fédération française de football sont pleins de cadres qui suivent les démêlés de la FIFA et les révélations sur les centaines de millions de dollars de pots-de-vin que se partageaient les dirigeants des confédérations. En juin 2016, l’euro se déroulera dans l’Hexagone. Un sacre assuré pour Platini au-dessus de tout soupçon?

Nos interlocuteurs se taisent. Sauf qu’en ces lieux, un abcès continue de mal passer: celui de l’attribution de la Coupe du monde 2022 au Qatar, et du fameux dîner élyséen du 23 novembre 2010. Arnaud Ramsay et Antoine Grynbaum, deux journalistes que les pro-Platini accusent d’avoir été manipulés par Sepp Blatter, racontent la scène dans Président Platini (Ed. Grasset). L’hôte est évidemment Nicolas Sarkozy, élu en 2007. Se trouvent là, aussi, Platini, l’émir du Qatar ainsi que Sébastien Bazin, du fonds Colony Capital, alors propriétaire d’un PSG naufragé. Y a-t-il eu un «deal» entre le vote français favorable au Qatar et le rachat du club parisien? «Je pense que oui, explique une ancienne collaboratrice de Noël Le Graet, président de la FFF depuis juin 2011, connu pour avoir soutenu Blatter lors de sa dernière réélection. Mais je ne crois pas à la corruption personnelle. Regardez le Qatar et la France: c’est de la corruption d’Etat…» Un journal américain traîne. Coup d’œil. A la une, le célèbre enquêteur britannique Andrew Jennings, auteur du Scandale de la FIFA, déclare: «Je n’ai jamais rien trouvé sur Platini.» Le fait que son fils juriste travaille pour une société sportive liée à l’Emirat n’est pas considéré comme un trop lourd boulet.

Etre le bon élève de la France est en revanche peut-être le point le plus vulnérable de «Platoche». Un handicap plus problématique que les accusations de corruption. En Afrique, beaucoup le considèrent instrumentalisé par les lobbies hexagonaux. En Asie, son manque de relais est patent: «On sent qu’il nous tient à l’écart. Le voir est impossible. Il n’est pas fair-play à notre égard», lâche l’envoyé spécial de l’Indonésie au prochain congrès de la FIFA. La crainte que les autres Français du système, les anciens adjoints de Blatter Jérôme Champagne et Jérôme Valcke, noient leur amertume dans les rumeurs revanchardes inquiète aussi ses partisans. Les «mythes» n’ont pas que des amis.

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