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Les Français préfèrent Michel (Onfray) à François, Alain, Nicolas et les autres. Brighelli suggère aux politiques quelques pistes pour être à nouveau audibles.
Par Jean-Paul Brighelli

Dans une interview parue dans Le Monde des 27-28 septembre, l’historien britannique Sudhir Hazareesingh affirme – non sans raison – à propos de Finkielkraut, Onfray, Zemmour, Polony et tant d’autres « mécontemporains » : « Que l’on partage ou non leurs analyses, force est de constater que les auteurs dont nous parlons savent manier la langue française. […] De l’autre côté, le problème est que l’on a une génération d’hommes politiques qui utilisent tous, peu ou prou, une langue technocratique. Ce sont des gestionnaires, incapables de changer de registre en citant un écrivain ou un poète. »
La question du registre
On savait bien avant McLuhan que « le médium, c’est le message », ou, si l’on préfère, que c’est le discours – la rhétorique au sens noble du terme – qui fait sens. Et elle seule. Vous pouvez mettre dans un écrit ou un oral toutes les bonnes intentions possibles, si vous ne savez pas les exprimer, vous serez inaudible – ou illisible. Ce qui a fait le succès de Sarkozy en 2007, ce n’est pas la force de ses convictions – en a-t-il ? –, mais la puissance du verbe d’Henri Guaino. L’une ou l’autre des « plumes » de François Hollande a eu, en 2012, la bonne idée de la diatribe sur « la finance ». On avait beau savoir que le futur président n’en pensait pas un mot, l’effet était garanti. Et Hollande fut élu sur un malentendu bien exprimé.
L’effet rhétorique tient à un décrochement. À un écart. Le discours technocratique est uniformément lisse. « Degré zéro » ou « écriture blanche » : aucune émotion, aucun risque. On enseigne aux politiques une prudence de couleuvre, un vocabulaire froid hérité de Sciences Po, une élocution mesurée.
Et c’est tout le contraire qu’il faut faire – du moins quand la situation est grave. Il ne faut même pas hésiter à utiliser parfois des mots presque vulgaires. « La réforme, oui, la chienlit, non » – ce n’est pas d’hier, mais c’était efficace. Comme le « quarteron de généraux » utilisé pour désigner les putschistes d’Alger. De Gaulle, qui maîtrisait dans ses Mémoires la grande rhétorique héritée de Bossuet, savait parler avec l’efficacité bourrue d’un adjudant cultivé.
La question du fond
Et quel fond transbahuterait cette forme rebelle ? Ma foi, l’avenir sera ouvert au premier homme politique qui comprendra que l’antipolitiquement correct a seul de l’avenir, en l’état présent de la France. Que le mot « Europe » n’est plus audible qu’en contexte négatif. Que le mot « peuple » doit être réinventé, et qu’il mène tout naturellement au mot « souverainisme », parce que le peuple est souverain, et pas les élites autoproclamées qui nous gouvernent, politiciens usés, politiciennes permanentées, journalistes pérorant sur tous les sujets qu’ils ignorent, pseudo-intellectuels (si, il y en a) convertis en animateurs chez Ruquier, et j’en passe.
Le débat surréaliste entre le roquet de service Yann Moix et Michel Onfray, un homme de gauche lucide et qui donc ne votera pas pour la gauche actuellement aux manettes, était sur ce point significatif. Tout comme l’est, dans le même numéro du Monde qui ne pouvait pas ne pas faire une place au degré zéro de la pensée, la tribune signée par Édouard Louis et Geoffroy de Lagasnerie – deux hommes qui ont insulté l’année dernière un vrai intellectuel, Marcel Gauchet, qui a plus de talent dans son petit doigt que ces deux grandes inintelligences dans toute leur personne. « Intellectuels de gauche, réengagez-vous », pleurnichent-ils. Mais il n’y a plus d’intellectuels à gauche – en tout cas, pas la vôtre ! Il n’y a plus d’intellectuels dans le « Camp du Bien », comme disait Philippe Muray. La gauche est nue.
La question du peuple
Dans Le Figaro paru le même jour, Natacha Polony analysait fort bien le nœud du débat Onfray-Moix : l’un parle du peuple, l’autre – de son propre aveu – ignore ce que c’est, tant il se croit d’une essence supérieure. Voici revenu le temps des petits marquis aboyeurs ! 1788, nous voilà !
Et d’expliquer – j’ai moi-même enfoncé le clou à l’occasion, Internet permettant un ton et un vocabulaire qui ne sont pas dans les habitudes du Figaro – que derrière ce mot « peuple » (qu’Onfray définit selon Machiavel comme celui « sur lequel s’exerce le pouvoir »), dénigré par la gauche qui le déforme en « populisme », et par la droite classique qui ne l’entend pas du tout, il y a ce non-dit du « peuple souverain », capable quand on l’excède de frotter durement les oreilles des gouvernants et de leurs laquais. Le point de contact entre Onfray, Finkielkraut, Michéa et les autres, c’est le souverainisme – entendons par là l’amour de l’État-nation, contre toutes les démissions mondialistes, les fuites européanistes, les tentations du marché global et autres fariboles.
Contre l’éradication de la culture à l’école aussi. On a cru limiter à jamais les rébellions populaires en renonçant à l’instruire. Mais le peuple, même illettré, peut, à un certain niveau d’exaspération, tout ce qu’il croit pouvoir – ça, c’est le cardinal de Retz qui le dit. Mais François Hollande ou Édouard Louis ont-ils lu Retz ?
« Parle au peuple ! » aurait conseillé Pierre Mauroy, en 2002, à un Lionel Jospin déjà convaincu que la bataille se gagnerait avec les voix des arrondissements centraux de Paris. Ma foi, on sait ce qu’il en est advenu, et Jospin entra triomphalement dans les poubelles de l’Histoire. Le premier qui, dans les mois à venir, saura parler au peuple balaiera les pantins.