Étiquettes

, , ,

Luis Lema

Une – éventuelle – reprise de Palmyre, contrôlée par l’Etat islamique depuis fin mai 2015, pourrait amener les Occidentaux à se ranger derrière l’initiative russe. (Keystone)

Une – éventuelle – reprise de Palmyre, contrôlée par l’Etat islamique depuis fin mai 2015, pourrait amener les Occidentaux à se ranger derrière l’initiative russe. (Keystone)

La Russie est en train d’amasser une armada près de la ville de Lattaquié. De quoi, peut-être, passer à l’offensive

Il s’agit peut-être d’une simple question d’orgueil et d’une manière de montrer ses muscles. Il peut s’agir aussi d’une façon d’avancer un simple pion, à tout hasard, comme lorsqu’on ne sait pas trop quelle pièce bouger, au cours d’une partie d’échecs indécise. Toutefois, en marge des discussions qui se tiennent ces jours à l’Assemblée générale de l’ONU à New York, c’est une vraie armada qu’est en train de déplacer la Russie dans l’ouest syrien. Bien plus qu’un simple pion, bien davantage qu’un simple coup de bluff.

«Le déploiement de la Russie inclut maintenant quatre avions de combat multirôles Su-30SM, 12 avions d’attaque au sol Su-25, 12 avions de combat Su-24M et potentiellement six hélicoptères d’attaque Ka-52», assurait récemment l’institut IHS Jane’s, spécialisé dans le renseignement militaire. Des chars de combat, des centaines de soldats russes finissent de signifier la création d’au moins une base militaire en bonne et due forme (certaines sources parlent de deux bases supplémentaires) près de l’aéroport de Lattaquié, l’un des fiefs alaouites du président syrien, Bachar el-Assad.

Lorsque, en août, les premières informations ont commencé à filtrer sur un accroissement de la présence russe en Syrie, les choses paraissaient claires. Un mois plus tôt, Bachar el-Assad concédait que son armée manquait de «main-d’œuvre» pour agir efficacement. A la Russie la défense du «réduit alaouite», sur la côte méditerranéenne; à l’Iran (qui combat aux côtés du pouvoir syrien), la fortification autour de la capitale, Damas; à la milice libanaise chiite Hezbollah (alliée à l’Iran), la mainmise le long de la frontière libanaise. Voilà, en un mot, assurée l’emprise sur «la Syrie utile», quitte à laisser l’immensité du désert dans les mains des djihadistes du groupe Etat islamique (EI, ou Daech).

L’ampleur du déploiement russe autour de l’aéroport Bassel el-Assad, à Lattaquié, a cependant forcé les analystes militaires à revoir leur appréciation. «Nous sommes devant une inflexion stratégique majeure», note l’Institute for the Study of War, qui suit au quotidien le déroulement de la guerre syrienne.

Comme l’a confirmé lundi Vladimir Poutine à la tribune des Nations unies à New York, la Russie a un plan en Syrie. Elle entend rassembler à ses côtés une «large coalition» qui combattrait, aux côtés de l’armée syrienne, les djihadistes de l’Etat islamique.

Or, notent les experts militaires, Moscou se donne à présent les moyens militaires de conduire à sa guise cette hypothétique coalition. Partageant ses renseignements militaires avec Damas, mais aussi avec Téhéran et Bagdad (ce que ne fait pas l’alliance menée par les Etats-Unis contre Daech), elle peut prétendre à davantage d’efficacité sur le terrain; peu soucieuse de limiter les victimes civiles «collatérales», apportant un regain de motivation aux troupes syriennes, elle a de quoi espérer pouvoir passer à l’offensive et, peut-être, reprendre du terrain face aux djihadistes.

Une – éventuelle – reprise de Palmyre pourrait-elle amener les Occidentaux à se ranger derrière l’initiative russe, fût-ce à reculons? Tandis que le camp occidental, peu empressé de se plonger dans ce bourbier, semble peu à peu s’accommoder d’un maintien au pouvoir possible de Bachar el-Assad, de possibles succès militaires russes pourraient bousculer toutes les règles du jeu, elle constituerait un game changer, insiste l’Institute for the Study of War.

Une entrée en scène de la Russie dans la guerre syrienne n’aurait pas pour seule conséquence de «blinder» les positions du régime syrien. Le rôle des analystes est de prévoir toutes les éventualités. Et ils ne s’en privent pas: un autre centre d’études, le Carnegie Endowment for International Peace, explore ainsi la possibilité que, progressivement, la coalition ­Russie-Syrie-Iran-Hezbollah s’en prenne à d’autres cibles que l’Etat islamique. Qui, dans le camp occidental, bougerait le petit doigt si l’aviation russe permettait d’affaiblir, par exemple, le Front Al-Nosra, soit la branche syrienne d’Al-Qaida? Les frontières (déjà poreuses) entre les divers groupes d’opposition finiraient de s’estomper, notent en substance les experts.

En un mot, la vision de Vladimir Poutine aurait tôt fait de triompher: celle qui consiste à voir en Bachar el-Assad le seul «rempart» face à la menace djihadiste contre laquelle il s’agit, ensemble, de lutter.

http://www.letemps.ch/