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institutions européennes, Le harcèlement au travail, Nombre croissant d’affaires, un tabou
Victor Roux-Goeken
La Commission a développé, depuis dix ans, une procédure de lutte contre ce phénomène difficile à quantifier et au coût croissant. Mais le sujet semble encore évité au Parlement européen.

Le phénomène de harcèlement au travail monte-t-il dans les institutions européennes ? « Nous avons eu plusieurs cas concernant le Parlement européen, le Comité des régions et la Cour des comptes européenne », explique à Contexte l’eurodéputée PPE Ingeborg Gräßle.
À tel point que la commission du Contrôle budgétaire du Parlement européen, qu’elle préside, a organisé, mardi 22 septembre, un atelier sur les conséquences financières du harcèlement dans les institutions européennes.
Il met en évidence l’inadéquation entre un phénomène perçu comme croissant, de rares et disparates statistiques officielles ainsi que, sans doute, une sous-déclaration de la part des salariés concernés.
« Nombre croissant d’affaires »
Juge du Tribunal de la fonction publique, Maria Isabel Rofes i Pujol observe « un nombre croissant d’affaires » portées devant cette cour.
« Les sommes octroyées atteignent des montants jusqu’ici inconcevables », de l’ordre de la dizaine de milliers d’euros. « Mais elles sont modestes par rapport aux vraies conséquences financières occasionnées par le harcèlement sur le budget de l’Union. »
La Commission européenne a mis en place une procédure précontentieuse, permettant entre autres d’éviter un recours aux tribunaux.
Pour cette seule institution, la procédure de prévention du harcèlement à l’amiable coûte 50 000 euros par cas, chiffre Mercedes Janssen Cases, médiatrice de l’institution. « Beaucoup de fonctionnaires doivent travailler sur ces affaires. » Même si le nombre de procédures est « stable », de 300 à 350 par an.
Programme de prévention
L’exécutif s’est doté de ce mécanisme en 2006. Une évaluation de cette politique interne commencera à l’automne, explique Karen Williams, directrice de l’Office d’investigation et de discipline de la Commission (Idoc), qui dépend de la direction générale Ressources humaines.
Deux systèmes existent. L’un informel, de conciliation à l’amiable. L’autre formel, déclenché en cas d’échec du premier, pouvant déboucher sur une procédure d’enquête et de sanction.
Dans le premier cas, un membre du personnel peut se tourner vers l’un des 40 conseillers volontaires, désignés par la direction générale parmi les salariés de la Commission européenne. Le nombre de situation s’est élevé à 175 en 2012, 133 en 2013 et 175 en 2014. La deuxième procédure a abouti à 17 cas en 2012, 6 en 2013 et 21 en 2014.
« Au total, une décision définitive a établi un cas de harcèlement psychologique », selon Karen Williams.
Le Médiateur européen est également « compétent pour traiter des questions de harcèlement » dans les institutions européennes, notamment sur la façon dont les procédures sont menées, explique Marta Hirsch-Ziembińska, cheffe de l’unité des Plaintes et enquêtes au bureau du Médiateur européen.
« Il n’y a pas tant de plaintes que ça », observe-t-elle. Depuis 2010, le service en a reçu 49, dont quinze ont débouché sur une enquête.
« Énormément de plaintes » pour harcèlement à l’institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes
Paradoxalement, Marta Hirsch-Ziembińska fait cependant état d’ « énormément de plaintes » pour harcèlement à l’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes, à Vilnius.
Celles-ci ne semblent pour autant pas être recensées dans les statistiques institutionnelles. L’avocate Laure Levi se dit ainsi « étonnée de voir le nombre de harcèlement réduit qu’ont à connaître les institutions », en comparaison, par exemple, du nombre de salariés de la Commission européenne (plus de 30 000).
« Cela n’a pas vraiment de sens. Soit les personnes ne savent pas, soit on laisse faire. »
L’avocate cible le Parlement européen, où les cas de harcèlement impliquant un eurodéputé et un attaché parlementaire semblent fréquents. Elle « entend régulièrement des critiques à l’égard de la gestion » de ces affaires.
« Les procédures à l’égard des assistants parlementaires accrédités sont correctes, mais il ne faut pas que l’institution se protège. (…) S’il y nécessité de sanctionner, [les] règles à l’égard des députés prévoient des sanctions. Pourquoi a-t-on peur de mettre en place ces règles ? Cette difficulté à reconnaître qu’il y a un problème est extrêmement frappante. »
« C’est un mensonge que de dire que ce sujet est populaire au Parlement européen, mais il faut qu’on en parle », conclut la députée Ingeborg Gräßle. « Je n’aimerais pas être assistante accréditée dans le bureau de certains collègues. »