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Par Caroline Zuercher

«Nous sommes occupés pour un bon moment. C’est la course contre la montre», soupire un bûcheron. Casque, T-shirt orange et grosses chaussures, il travaille avec deux collègues dans un bois situé en face du Zoo de Servion. Les forestiers ne pensaient pas revenir dans cette zone avant plusieurs années. Un sentier a été aménagé, une table installée: l’idée était d’en faire une zone récréative. La nature en a décidé autrement et, depuis quelques semaines, le bostryche grignote les épicéas.

L’agréable odeur de résine invite à la promenade. Mais la forêt est trouée en son centre. Plusieurs arbres ont été abattus, les ou­vriers s’affairent autour des troncs pour enlever les écorces. Un travail difficile qui n’est pas encore terminé. Marc Rod, garde forestier dans le Jorat, montre un conifère vieux d’environ 80 ans. Trente mètres plus haut, sa cime est desséchée. «Il se bat encore mais n’arrive pas à se défendre: il est condamné», diagnostique le spécialiste.

Dur pour les propriétaires

Ici, le bostryche typographe est arrivé «d’un coup» à la fin de l’été, après plusieurs années d’accalmie. Ses couloirs bruns forment sur les troncs ces dessins si typiques, ressemblant aux méandres d’un fleuve. L’insecte et ses larves se voient à l’œil nu. Dans notre pays, cette espèce endémique apparaît par phases souvent liées à la météo. «Un été particulièrement chaud et sec favorise l’insecte qui peut engendrer jusqu’à trois générations en une année au lieu de deux habituellement, explique Michael Reinhard, responsable du dossier à l’Office fédéral de l’environnement (OFEV). Les épicéas sont ainsi plus vulnérables.»

Jean-François Métraux, inspecteur vaudois des forêts, ajoute que, si de telles attaques ne mettent pas les bois en danger, elles sont préoccupantes pour les propriétaires. L’indésirable, en effet, amène avec lui un champignon qui colore le bois en bleu-noir. Même si celui-ci conserve ses propriétés statiques, il perd jusqu’à 50% de sa valeur. Un coup dur supplémentaire pour un secteur qui souffre déjà du franc fort.

Ces trois derniers mois, 12 000 m3 de bois bostrychés ont été annoncés dans le canton de Vaud. Ce chiffre, le plus élevé depuis 2008, reste «beaucoup plus faible que la moyenne des années 2001-2007 au cours desquelles plus de 100’000 m3 de bois étaient exploités annuellement pour des motifs sanitaires», précise Jean-François Métraux. A l’époque, le coléoptère avait profité des conséquences cumulées de l’ouragan Lothar de 1999 et de la sécheresse de 2003.

A Berne, Michael Reinhard confirme que plusieurs régions du Plateau et du Jura ont signalé une «potentielle recrudescence, mê­me si les fluctuations actuelles sem­blent encore dans l’ordre de la normale». Pour l’heure, la Confédération ne dispose pas de chiffres précis: les statistiques nationales sortiront au printemps. Genève, en revanche, est épargné. «Nous avons la chance d’avoir des forêts mélangées avec beaucoup de chênes, explique Patrik Fouvy, directeur des espaces naturels. Cette espèce est résistante au réchauffement et à la sécheresse.»

L’avenir dépend du ciel

La question, désormais, est de savoir comment les choses vont évoluer. Un insecte pouvant donner naissance à plus de 300’000 petits, si les conditions lui conviennent, il faut intervenir rapidement. Les propriétaires ont d’ailleurs l’obligation d’agir.

Dans le Jorat, Marc Rod croise les doigts et espère qu’il fera suffisamment froid pour éviter l’apparition d’une nouvelle génération avant l’hiver. Jean-François Métraux évoque également la météo. Selon lui, les dégâts seront probablement plus importants l’an prochain, «en particulier si les conditions météo 2016 sont favorables à la prolifération des insectes». (TDG)

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