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Hélène Carrère d

nvitée d’Audrey Crespo-Mara sur LCI, la secrétaire perpétuelle de l’Académie française et l’éminente historienne spécialiste de la Russie Hélène Carrère d’Encausse publie Six Années qui ont changé le monde, 1985-1991, la chute de l’Empire soviétique. Un livre passionnant qui permet de mieux comprendre la Russie d’aujourd’hui.

Audrey Crespo-Mara : Vous rendez hommage à l’action de deux hommes, deux destins, qui permettent de comprendre la Russie d’aujourd’hui. D’abord, Mikhaïl Gorbatchev. C’est lui qui a tout déclenché…

Hélène Carrère d’Encausse : Oui, le mur de Berlin a pu s’écrouler sans que Gorbatchev ne dise rien alors que les responsables communistes de l’Est le suppliaient d’intervenir ! Et puis, à l’intérieur du pays, il a senti qu’il fallait faire quelque chose. Il n’avait pas l’idée de démanteler le système, ça, c’est vrai… Il tâtonnait, il hésitait… Cet homme communiste a eu le courage d’aller contre ses convictions, il a eu le courage de lancer ce mouvement alors qu’on sait que les révolutions qu’on enclenche en général vous échappent et que ça donne des tragédies épouvantables, il a eu le courage de poursuivre contre son parti et contre ceux qui le trouvaient tantôt trop libéral tantôt insuffisamment libéral. Il l’a fait avec une douce obstination… C’est une double révolution extraordinaire avec, d’une part, la fin d’un immense empire et, d’autre part, la fin du système communiste, c’est-à-dire d’une idéologie totalitaire.

L’autre homme auquel vous rendez hommage, c’est son rival : Boris Eltsine. En 1991, vous assistez à son élection présidentielle. Contrairement à Gorbatchev, il n’a jamais été estimé chez nous, où il a l’image d’un ivrogne népotiste !

C’est vrai qu’il était un peu brut. Gorbatchev a été le premier dirigeant soviétique qui nous a séduits parce qu’il était civilisé, il était charmant. Et puis, tout d’un coup, arrive un homme qui venait de l’Oural, pas très raffiné, encore que l’homme était éduqué, c’était un ingénieur… Mais nous avions eu en France une telle gorbimania… Le président Mitterrand, très séduit par Gorbatchev, détestait Eltsine !

Eltsine vous disait : « L’Empire se décompose, je sais qu’il faut le liquider, mais il faut sauver à tout prix l’unité des peuples slaves. » Il était obsédé par l’Ukraine ! Pour les Russes, et pour Poutine aujourd’hui, l’Ukraine est consubstantielle à la Russie…

C’est une histoire de famille ! Ce sont deux peuples, les Ukrainiens et les Russes, qui viennent du même rameau, qui se sont mariés entre eux, qui ont la même histoire… Les Russes ne peuvent pas supporter l’idée d’être détachés de l’Ukraine. Pour les Ukrainiens, c’est différent. D’abord, une partie de l’Ukraine a appartenu à l’Empire russe depuis le XVIIe siècle. Mais l’autre partie, qui se trouvait dans l’empire austro-hongrois, a laissé se développer davantage un nationalisme et une culture ukrainienne. Elle n’avait rien à faire avec la Russie.

Sur le terrain en Ukraine, ça s’est un peu apaisé. Mais l’enquête internationale sur le MH17 abattu en Ukraine il y a un an, faisant 298 morts, conclut cette semaine à la responsabilité des pro-russes. Ce que dément la presse russe. Quelle est votre analyse ?

 

Poutine, vous l’avez rencontré pour la première fois en 2001. Vous avez passé deux heures ensemble, en tête-à-tête. Et vous trouvez que la vision qu’en a la France, celle d’un autocrate bafouant les droits de l’homme, est un peu courte…

 

Au-delà de lui, « les Russes en ont assez qu’on les regarde de haut ». Comment en est-on arrivé à ce divorce entre l’Occident et la Russie ? Est-ce que ça tient pour beaucoup à la personnalité de Poutine ?

C’est lié à beaucoup de choses. C’est lié d’abord au fait que cette révolution qui s’est produite en Russie entre 1985 et 1991, on ne l’a pas comprise. Les dix ans d’Eltsine qui ont été des années de chaos, on n’y a rien compris. Puis arrive ce Poutine, brutal dans sa manière de dire les choses, qui ne prend pas de gants, qui incontestablement estime qu’il peut imposer la manière russe. Et ça, c’est très déconcertant ! On attendait de la Russie, ce pays dont on ne comprenait rien, qu’elle se comporte avec humilité. Pas du tout ! Poutine veut relever la tête et ça ne plaît pas !

Sur le dossier syrien, Poutine semble avoir pris la main. Signe du grand retour de la Russie sur le plan international. Mais pourquoi intervient-il maintenant en Syrie ?

Depuis son arrivée au pouvoir, Poutine se bat pour démontrer que la Russie est un acteur international incontournable. Il n’a jamais été aussi près du but face à un Obama sans majorité, et en fin de mandat…

En tout cas, il a l’impression que, cette fois-ci, il a une position assez solide. Il n’en est pas moins vrai que les opinions publiques occidentales ne le voient pas. On continue sur un mythe de Poutine qui est un méchant Poutine. Quand je pense qu’Hillary Clinton, candidate à l’élection présidentielle américaine, dit « Poutine, c’est Hitler' », c’est un propos imbécile !

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