Étiquettes
la doctrine libérale, Le mal commun, les chaînes d’irresponsabilités, salaire de l’irresponsabilité, scandale VW
Chacun a été persuadé que c’est le consommateur anonyme qui est responsable de tous ces choix aveugles.
Nos sociétés sont malades du mensonge, titrait Alain Etchegoyen en 1994. A l’heure où les réflexions sur les communs et sur le bien commun reviennent en force, il me semble qu’il est nécessaire, salutaire et urgent de travailler sur le «mal commun». Trop facile de se dire d’accord sur un bien général sans aller creuser la gravité et la banalité de son envers: cette «communauté» qui en fonde la banalité, pour faire écho aux analyses d’Hannah Arendt. «Banal» est l’adjectif ancien qui signifie commun, comme pour l’ancien four à pain villageois appelé «four banal». Je m’arrête ici à l’un de ces maux, celui qui est sans doute à la racine de tous les autres: le mensonge. Ce mal déréalise nos liens sociaux et nos institutions. Il nous habitue à tolérer les pires injustices, comme si c’était des lois naturelles.
J’espère que le scandale VW sera un événement majeur, mais ce n’est pas encore sûr… On s’est habitué à ce que les banquiers trichent, que les gouvernements mentent, que les entreprises pharmaceutiques travaillent plus pour le capital que pour la santé des malades, que l’industrie agro-alimentaire multiplie les demies vérités pathogènes et que l’industrie textile, tue bien loin dans la discrétion. Des scandales surviennent, certes, mais si peu par rapport à tout ce que l’on sait. Et ils ne semblent pas changer la donne. Car chacun a été persuadé que c’est le consommateur anonyme qui est responsable de tous ces choix aveugles. Seul l’adjectif est juste dans cette assertion: l’anonyme. Nous tolérons toutes les chaînes d’irresponsabilités en économie comme en politique.
Cette fois-ci le scandale est peut-être différent, d’abord parce qu’il touche nommément l’entreprise allemande, fière et première de sa branche. Ensuite il s’agit d’une tromperie volontaire, certes comme pour les banques, mais cette fois sur un produit industriel qui allait être contrôlé un jour ou l’autre, ce qui est une marque de mépris supplémentaire pour les règles et ceux qui les émettent. Troisièmement, les risques d’extension sont grands pour l’Allemagne et pour toute l’industrie automobile, et peut-être d’autres branches. Les mensonges ordinaires constituent une pente glissante qui conduit aux pires drames, telle est la logique du mal commun.
Nous, les personnes du «commun», nous ne pouvons comprendre. Le patron n’est pas sanctionné, il reste président de la fondation Porsche qui détient le capital. Il a touché en 2014 la somme de 15 millions d’euros de rémunération. C’est donc, au cours du jour, le salaire de l’irresponsabilité: le prix payé pour faire croire que ces hommes sont grands, que c’est grâce à eux que la richesse se développe. Ce salaire est aussi extravagant que l’irresponsabilité qu’il couvre. Il s’agit à l’évidence de tromperie en bande organisée avec de nombreuses ramifications.
Personne ne détient la vérité, certes, mais le mensonge est l’objet d’un «interdit fondateur», ce seuil en-deçà duquel les libertés sont privées de l’information nécessaire au libre-choix, et aussi privées de la confiance. Dans une hypothèse optimiste, si les enquêtes vont assez loin au grand jour, un sursaut de conscience pourra se produire et les ONG qui militent en faveur de la définition des responsabilités des entreprises à l’égard des droits de l’homme pourront faire entendre plus fortement cette voix de la justice, mais aussi de la rationalité économique. Nous sommes, en effet, au coeur de la doctrine libérale classique ici bafouée sans aucun ménagement: comment un marché pourrait-il être efficient, si les agents se trompent mutuellement? On peut mesurer le degré d’effectivité d’une culture démocratique à son intolérance à l’égard du mensonge, cela vaut aussi pour une économie en culture libérale (au sens des libertés fondamentales). Pourquoi ne sommes-nous pas plus démocrates?