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Avocat au cabinet Jeantet et président de l’Association des avocats lobbyistes, Philippe Portier présente à Contexte sa vision de la place des avocats dans le métier des affaires publiques.

Pourquoi avoir créé l’association des avocats lobbyistes ? Comment se positionne-t-elle par rapport aux instances et organismes représentatifs de la profession d’avocats ?

L’association a été créée en 2011 à l’initiative du bâtonnier Castelain. Il a monté en parallèle la cellule de lobbying du Barreau de Paris.

En 2008, le conseil national des Barreaux a publié un rapport qui soulevait un problème, celui du secret professionnel et de l’inscription dans les registres de représentants d’intérêts. Pour le reste, il ne voyait aucun inconvénient de principe à l’exercice de l’activité de lobbying par les avocats.

Dans la pratique, les avocats ont toujours été mêlés aux affaires publiques. C’était très visible sous la IIIe République, la fameuse « République des avocats ».

L’association vise à faire connaître cette fonction de lobbyiste, qui est une possibilité, pour les avocats, de dépasser les frontières traditionnelles de leur profession. Nous cherchons à impulser une culture professionnelle des affaires publiques, pour en finir avec les « avocats d’alcôves », travaillant à l’ancienne grâce à leurs carnets d’adresses.

Le choix du terme « lobbyiste » a-t-il posé problème ?

Ce fut un vrai débat. Le terme est assez récent et il est encore nécessaire de travailler pour le faire accepter, car l’avocat n’est pas vu comme un lobbyiste par le grand public.

Certains d’entre nous détestent ce mot qu’ils estiment connoté. Selon Thaima Samma, qui dirige un cabinet spécialisé sur le sujet, en faisant des Affaires publiques, l’avocat se trouve dans sa fonction naturelle de représentation des intérêts de ses clients, son métier ne se limitant pas aux aspects contentieux. Je pense qu’elle a raison.

Nous avons choisi d’assumer le nom d’avocats lobbyistes, car c’est une réalité et tout le monde sait de quoi nous parlons, quelque que soit le mot utilisé.

Quelles sont vos relations avec l’association des cabinets de lobbying « traditionnels », l’AFCL ?

Les relations n’existent pas au niveau institutionnel entre les différentes associations, car il n’y a pas de demande, d’un côté comme de l’autre.

Les débuts ont été un peu difficiles. Lorsque nous nous sommes lancés, les cabinets de lobbying se sont inquiétés. Ils craignaient que nous nous servions de nos règles de secret professionnel pour faire du lobbying dans l’ombre, ce qui aurait constitué pour eux une distorsion de concurrence.

À l’AFCL, comme partout, certains se veulent les gardiens du Temple et essayent, dans leur intérêt, de verrouiller les frontières de la profession. Ce conservatisme corporatiste ne nous intéresse pas.

Plusieurs affaires ont défrayé la chronique, comme l’embauche de Jean-François Copé par le cabinet Gide, alors qu’il était président du groupe majoritaire à l’Assemblée. Quelles relations les avocats doivent-ils avoir avec les élus ?

Nous avons toujours eu d’anciens élus ou hauts fonctionnaires, comme Jean-Pierre Jouyet, Hubert Védrine, ou Noelle Lenoir dans notre cabinet. Mais ils venaient chez nous une fois qu’ils n’étaient plus en fonction. Le cas de Jean-François Copé est différent : c’est la première fois qu’une personnalité très visible, encore en poste, rejoignait un cabinet aux activités très nombreuses.

Je ne sais pas ce que faisait précisément Jean-François Copé chez Gide. J’en ai surtout entendu parler, sur le ton de la plaisanterie, par les bourdes qu’il aurait commises sur des dossiers. Personnellement, j’estime qu’un élu qui fait du lobbying, cela s’appelle du trafic d’influence.

Le règlement intérieur de notre association interdit à un cabinet de faire du lobbying auprès d’une institution dont ferait partie l’un de ses membres. Avoir un député en exercice dans le cabinet nous empêcherait de travailler en direction de l’Assemblée nationale.

L’inscription dans les registres de représentants d’intérêt pourrait devenir obligatoire. Cette évolution est-elle positive ? Tous les membres de l’AAL sont-ils inscrits ?

Nous défendons l’idée d’un registre obligatoire et avons modifié les règlements de l’ordre des avocats cet été pour pouvoir nous y inscrire en déclarant nos clients sans avoir à leur demander d’autorisation, ce qui était auparavant nécessaire.

L’inscription dans les registres ne représente aucun intérêt pour les lobbyistes actuellement, hormis la pression sociétale. Le cœur du problème est la transparence vis-à-vis du décideur. Quand je vais voir un député, je lui indique toujours pour qui je travaille. La transparence est positive, quand elle est réellement utile.

Une fois que le registre sera obligatoire, la balle sera dans le camp du décideur : acceptera-t-il, ou pas, de dialoguer avec un lobbyiste qui n’est pas inscrit ?

Ne faudrait-il pas, à l’image de ce que fait Jean-Claude Juncker à la Commission européenne, faire porter l’obligation de déclaration des rencontres sur le décideur ?

C’est sans doute pour cette raison que le sujet n’avance pas. S’il publie son agenda et l’ensemble des rencontres avec les lobbyistes, le député devra se justifier en permanence d’avoir reçu certains et pas d’autres. L’étape suivante sera la publication du contenu des échanges. Il ne faudrait pas arriver à une construction bureaucratique à l’américaine.

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