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La forte mobilisation de la profession révèle un malaise plus profond. Les avocats s’interrogent sur leur avenir à l’heure où leur secret professionnel est attaqué de toutes parts. Et où de plus en plus de conseils sont condamnés au même titre que leurs clients fraudeurs.

Les avocats ont mené une bataille comme ils les aiment : majeure. Fondée sur de grands principes, homérique, théâtrale… Cortège de robes noires sur les marches des palais de justice de France, ténors plaidant aux comparutions immédiates pour des voleurs de Mobylette ou des vendeurs de 3 grammes de cannabis… La grève des avocats a paralysé les tribunaux pendant près de trois semaines. En jeu, la réforme de l’aide juridictionnelle (AJ), ce dispositif qui permet aux plus démunis d’avoir accès à un avocat sans avoir à payer tout ou partie de la défense. Un accord a finalement été conclu, prévoyant une revalorisation de 12,6 % de l’unité de valeur (UV) de base servant à établir la rémunération des avocats. « Je salue l’accord sur l’aide juridictionnelle entre les avocats et le ministère de la Justice. L’accès au droit pour tous, c’est l’égalité et la solidarité », a déclaré le Premier ministre sur son compte Twitter. Comme une réponse à un autre tweet moins officiel celui-là, mais lu par ses 28.000 abonnés sur le réseau social : « Tout ça pour ça ? Qui a dit : « On a la justice qu’on mérite ? Eh bien, on va continuer à l’avoir », écrivait Maître Mô, alias Jean-Yves Moyart, avocat lillois, très actif pendant la grève et très suivi par tout ce que la tweetosphère compte de magistrats, d’avocats et de journalistes judiciaires.

Cette forte mobilisation cache en effet un malaise bien plus profond : où va vraiment la profession d’avocat ? Car c’est un fait : l’avocature n’est plus un sanctuaire. Toucher à l’AJ n’est qu’une autre forme du grignotage méthodique de l’aura de la profession : écoutes, perquisitions de cabinets d’avocats ne sont plus l’exception. Ce n’est pas tout, longtemps à l’abri, les avocats sont poursuivis aujourd’hui au même titre que leurs clients… et condamnés.

Toutes les grandes affaires financières et fiscales de ces dernières années ont, pour des raisons différentes, entraîné dans leur sillage un ou des avocats : Pascal Wilhelm, avocat et protecteur de Liliane Bettencourt, a été condamné en première instance à trente mois de prison dont dix-huit mois ferme pour abus de faiblesse. Maurice Lantourne a été mis en examen en même temps que son client, Bernard Tapie, pour « escroquerie en bande organisée », dans le cadre de l’arbitrage Adidas. Le procès de l’héritière Nina Ricci a vu la condamnation de l’avocat fiscaliste de cette dernière, le 13 avril 2015 : Henri Nicolas Fleurance, spécialiste de droit fiscal, a été reconnu coupable d’organisation frauduleuse d’insolvabilité et condamné à une peine d’un an d’emprisonnement avec sursis. Surtout, le tribunal l’a aussi jugé solidairement tenu au paiement des impôts fraudés par sa cliente, Arlette Ricci, soit près de 10 millions d’euros. Il a fait appel mais c’est une première.

Ce virage répressif à l’encontre des conseils ne date cependant pas d’hier. Tout a changé depuis la crise de 2008. Après l’exigence d’une meilleure régulation bancaire, l’intransigeance radicale à l’égard de la fraude économique et financière s’est imposée. Ce n’est pas faute d’avoir prévenu les professions juridiques : « On ratisse large », avait expliqué dès 2012 le commissaire chargé de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, sous-entendu : les fraudeurs sont dans la ligne de mire de cette nouvelle police mais aussi leurs conseils (1). « La chasse est ouverte », s’inquiétait ainsi l’avocat Emmanuel Daoud dans une tribune (2). « Toute la différence est là : l’avocat ne doit pas faciliter la fraude fiscale, sous peine d’être jugé complice et, partant, tenu au paiement de l’impôt fraudé ; mais l’on ne doit pas attendre de lui qu’il dénonce son client. Ne pas dénoncer n’est pas être complice », s’insurgeait-il. Dans un livre (3), Daniel Soulez-Larivière s’est ému lui aussi de « l’idéalisation médiatique de la transparence » et a dénoncé sa « revendication dogmatique ». Mais, pour les professions de conseil, le danger est bien là. « C’est sur les avocats d’affaires que la croissance va repartir. On est là pour assainir », veut croire Paul Lignières, le patron du cabinet Linklaters à Paris.

Mais, de ces attaques aux valeurs et aux principes de la profession, l’avocat lui-même n’est-il pas en partie responsable ? A force de se vouloir plus grosse que le boeuf, de sortir des prétoires pour conquérir de nouveaux « marchés du droit », la profession n’a-t-elle pas d’une certaine façon bradé son secret professionnel ? Entendons-nous bien, il n’est pas question de revenir sur la fusion des avocats et conseils juridiques. Il fallait qu’une grande profession moderne sorte des palais de justice. Mais lorsqu’ils s’aventurent sur de nouveaux terrains de jeu comme le lobbying, le métier d’agent sportif et demain, peut-être, de conseiller en propriété intellectuelle, les avocats sont-ils en droit de revendiquer un secret professionnel aussi rigoureux ? La question se pose d’autant plus que ces mêmes métiers sont souvent exercés par d’autres professionnels qui n’en bénéficient pas et ont une déontologie bien moins rigoureuse.

Alors, quel avenir pour ces professionnels libéraux drapés dans leur secret professionnel comme dans la peau du lion de Némée, qu’aucune procédure ne saurait pénétrer ? Tôt ou tard, les avocats devront se demander ce qu’est l’essence même de leur métier, ce que sont les fondements de la défense, faute de quoi ils risquent de devenir des marchands de droit et d’être traités comme tels.

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