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Une histoire violente
Comment l’Etat islamique, depuis sa création en 2006 aux sanglant attentats de Paris en novembre 2015, a toujours utilisé l’hyperviolence et sa mise en scène

Un « Conseil consultatif des Moudjahidines en Irak », composé d’Al-Qaida en Irak, d’autres groupes djihadistes et d’une trentaine de tribus sunnites, se constitue en « Etat islamique en Irak », déterminé à éradiquer la domination chiite dans le pays.
Le combat des djihadistes en Irak remonte à l’invasion américaine de 2003. En juin 2006, l’armée américaine réussit à tuer Abou Moussab al-Zarkaoui, le chef d’Al-Qaida en Irak, cauchemar des Américains et d’une grande partie de la population irakienne. Des luttes intestines pour la domination du djihad vont suivre au sein du groupe.
Les deux successeurs d’Al-Zarkaoui à la tête d’Al-Qaida en Irak, Abou Omar al-Bagdadi et Abou Hamza al-Mouhajer, sont à leur tour tués par les Etats-Unis et leurs alliés irakiens. Le groupe se fond progressivement dans « l’Etat islamique en Irak”, désormais dirigé par Abou Bakr al-Bagdadi, un leader énigmatique qui évite les apparitions publiques. Les attentats continuent, comme celui, emblématique, contre la cathédrale syriaque de Bagdad à la veille de la Toussaint (58 morts, le plus grave attentat en Irak depuis 2003).
Après le développement de révoltes démocratiques en Tunisie, en Egypte, au Yémen et en Libye, la contestation arrive en Syrie. Le président Bachar el-Assad choisit la manière forte et engage une féroce répression. Des militants d’Al-Qaida en Irak commencent à débarquer en Syrie pour se joindre à l’insurrection.
A l’automne 2011, les Etats-Unis promettent 10 millons de dollars de récompense à qui livrera Al-Bagdadi.
La capitale de la province du centre-est de la Syrie est la première grande ville syrienne à tomber aux mains de l’Etat islamique en Irak, et lui sert de quartier général, malgré les bombardements de l’armée loyaliste. Dès les premiers jours, l’EI y impose une politique de terreur, vitrine du régime islamiste.

La puissance de l’EI vient notamment de ses sources de financement : exploitation des puits de pétrole dont il s’empare, trafic d’antiquités, prises d’otages avec des rançons se comptant en millions de dollars, brigandage, racket et levée d’impôts sur les territoires qu’il contrôle. L’EI reçoit aussi beaucoup d’argent de donateurs privés sunnites des pays du Golfe.
Abou Bakr al-Baghdadi annonce que l’Etat islamique en Irak devient « l’Etat islamique en Irak et au Levant », EIIL (ISIS en anglais), après un rapprochement avec le front Al-Nosra, le groupe représentant Al-Qaida en Syrie.

Fin 2013, la politique sectaire du premier ministre chiite irakien Nouri al-Maliki et les exactions de l’armée de Bagdad provoquent peu à peu la révolte de tribus sunnites, notamment dans la région d’Al-Anbar (ouest du pays) qui soutiennent militairement l’avancée territoriale de l’EIIL vers les régions pétrolières et même vers Bagdad. Bon nombre de sunnites accueillent dans un premier temps les djihadistes de l’EIIL en libérateurs, d’autant que les insurgés arrivent avec du ravitaillement

L’EIIL s’empare de ces deux villes sunnites à 70 et 110 kilomètres seulement à l’ouest de Bagdad et entreprend de se lancer à l’assaut du nord et de l’ouest du pays.

Alors que les deux mouvements s’étaient rapprochés, le chef d’Al-Qaida Aymane Al-Zawahiri désavoue clairement l’EIIL en février 2014, et lui demande de quitter la Syrie. Les deux groupes opèrent depuis de façon séparée, quand ils ne se font pas la guerre en Syrie.

Quelques centaines de combattants de l’EIIL s’emparent de Mossoul (2 millions d’habitants) et des dépôts d’armes de cette ville riche et stratégique à l’intersection des routes d’Irak, de Syrie et de Turquie. Cinq cent mille personnes fuient en deux jours. L’EIIL revendique aussi peu après le massacre d’au moins 1600 cadets de l’école militaire du camp Speicher, aux abords de Tikrit. Les Etats-Unis annoncent dans la foulée l’envoi de 300 conseillers militaires en Irak.
L’EI compterait 5000 à 6000 combattants en Irak et de 6000 à 12’000 en Syrie. Ses chefs sont des anciens de la guerre d’Afghanistan, durant laquelle ils se sont formés à la guérilla, et d’anciens cadres du régime baasiste, habitués de la guerre classique. L’EI compte aussi des centaines de combattants venus d’Europe, extrêmement motivés et prêts à mourir. Tout l’éventail des compétences au combat est représenté. L’EILL disposse aussi d’un arsenal impressionnant, volé aux loyalistes ou acheté.

Dans un enregistrement audio diffusé sur Internet, l’EIIL désigne son chef Al-Baghdadi comme « calife » et donc «chef des musulmans partout» dans le monde. Le mouvement se fait désormais appeler « Etat islamique » en supprimant donc toute référence géographique limitative: l’EI veut en finir avec les frontières des États actuels, héritées des accords Sykes-Picot de 1916 entre la France et la Grande-Bretagne. Le 30, Tikrit, la ville natale de Saddam Hussein, tombe. Tout un symbole.

Le 1er juillet, Abou Bakr al-Baghdadi apparaît pour la 1ere fois dans une vidéo sur Internet, et le même jour paraît le 1er numéro de « Dabiq », la revue en ligne des djihadistes. Sur les réseaux sociaux, qu’elle utilise pour recruter des combattants occidentaux, sur Internet, où elle publie des vidéos d’une qualité professionnelle, l’organisation fait preuve d’une maîtrise très sophistiquée de son message.

L’EI s’empare du Sinjar, une région de 300 000 habitants. Des dizaines de milliers de chrétiens et de yazidis se sauvent dans les montagnes aux environs. Des milliers de femmes sont violées et réduites en esclavage, des milliers d’hommes sont tués.

Le président Obama parle d’un “potentiel acte de génocide” et autorise de premières frappes aériennes dans le nord de l’Irak. Le 1er ministre Nouri al-Maliki de plus en plus contesté démissionne.
Le monde sidéré découvre une vidéo terrifiante montrant le journaliste américain James Foley, 40 ans, enlevé en novembre 2012 en Syrie, décapité par un homme cagoulé parlant avec l’accent anglais, en représailles aux bombardements américains.

Au sommet de l’OTAN à Newport, au Pays de Galles, les Etats-Unis annoncent la formation d’une coalition internationale contre les djihadistes. Dix pays occidentaux, dont la Grande-Bretagne, en constituent le « noyau dur ».
Le 23 septembre, premiers raids aériens en Syrie des Etats-Unis et de leurs alliés contre des positions de l’Etat islamique, dans les provinces de Daïr az Zour et de Rakka.

La ville située à la frontière turco-syrienne est âprement défendue par les troupes kurdes des YPG et du PKK.

L’EI commence à essaimer au Moyen-Orient et en Afrique du nord. En Egypte, le groupe Ansar Baït al Makdis qui multiplie les attaques meurtrières contre les forces de l’ordre, prête allégeance à al-Baghdadi. Au même moment, l’organisation gagne du terrain en Libye, à Derna et Syrte.

L’EI publie une vidéo montrant l’exécution de 21 chrétiens égyptiens sur une plage de Libye. Le lendemain, l’Egypte bombarde des cibles de l’EI en Libye.

En février 2015, l’EI diffuse une vidéo montrant des destructions volontaires dans le musée archéologique de Mossoul, provoquant un torrent de condamnations. Plusieurs oeuvres sont détruites et des sites historiques sont menacés en Syrie, en Irak et ailleurs.
Le 18 mars, un attentat dans le musée du Bardo de Tunis fait 23 morts.

Première bataille gagnée par les forces de Bagdad, qui regagnent une ville majeure, et espèrent que cela ouvre la voie à une reconquête à venir de Mossoul.

La rapidité de son attaque-éclair sur Ramadi, qui jette sur les routes des dizaines de milliers de civils, montre que l’EI n’est pas affaibli comme des observateurs le pensaient, à l’inverse il contrôle désormais plus du tiers du territoire irakien.
En Syrie, l’Etat islamique s’empare de Palmyre, où se trouve le site archéologique le plus célèbre du pays, située à 240 kilomètres au nord-est de Damas

En Tunisie l’attentat sur la plage de la région touristique de Sousse, qui a tué 39 personnes, est revendiqué par l’EI.

La Turquie frappe des positions djihadistes en Syrie quatre jours après l’attentat de suicide de Suruç attribué à l’Etat islamique par les autorités du pays. L’attentat a fait 32 morts et une centaine de blessés. Très critiquée jusqu’ici, la Turquie passe alors à l’offensive contre l’organisation terroriste.

Un camion piégé explose à Bagdad dans le quartier chiite de Sadr City faisant une quarantaine de morts. Un attentat revendiqué par les djihadistes. L’Etat islamique multiplie les attaques sur ce territoire dont elle contrôle une large partie à l’ouest depuis juin 2014. En septembre, une autre attaque aurait fait plus de 14 morts et 55 blessés dans la capitale irakienne.

La Russie s’engage en Syrie. Mais l’armée russe est soupçonnée de frapper les opposants au régime de Bachar El-Assad davantage que les membres de l’Etat islamique. Début novembre, la Russie bombarde pour la première fois la région de Palmyre détenue par les djihadistes.

L’armée irakienne affirme avoir touché le convoi d’Abou Bakr al-Baghdadi, le chef de l’Etat islamique, près de la frontière syrienne. Mais les Etats-Unis doutent de la mort d’Abou Bakr al-Baghdadi. Les forces de sécurité irakiennes ont déjà dans le passé affirmé que le chef de l’EI avait été blessé ou tué dans des raids.

Un Airbus 321 de la compagnie Metrojet s’écrase dans le désert du Sinaï, en Egypte, peu après son décollage de Charm el-Cheikh. La branche égyptienne de l’Etat islamique revendique le crash de l’appareil. L’enquête confirme une action terroriste.

L’Etat islamique revendique les attaques sur Paris du 13 novembre, qui ont tué 130 personnes, notamment dans la salle de spectacle du Bataclan. La France déclare l’état d’alerte et annonce «qu’elle sera impitoyable».
CRÉDITS
Une timeline de Catherine Frammery
Code: Jean Abbiateci et Libédata
Iconographie: David Wagnières
Photos: AFP, Reuters, Keystone
http://labs.letemps.ch/interactive