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La belle unité affichée au sommet du G20 contre le terrorisme sera-t-elle suivie d’effets? Décryptage avec un expert.

Image: Keystone

Hôte du G20 de ces deux derniers jours à Antalya, le président turc Recep Tayyip Erdogan s’est félicité, hier au terme du sommet, de la «position ferme» contre le terrorisme adoptée par les chefs d’Etat et de gouvernement des pays les plus riches de la planète. Trois jours après les attentats meurtriers de Paris, on n’en attendait pas moins de ceux qui, en principe, détiennent les moyens militaires, policiers et d’intelligence, pour venir à bout de Daech et de ses affidés.

Mais, à y regarder de plus près, et en dépit du «rapprochement» surprise entre Barack Obama et Vladimir Poutine, dimanche, on est encore loin de la grande coalition internationale antiterroriste que chacun appelle officiellement de ses vœux.

C’est que, au-delà des mots, explique Mohammad-Reza Djalili, professeur émérite à l’Institut des hautes études internationales et du développement, à Genève, «les Etats impliqués ont chacun leurs priorités qui ne coïncident que rarement avec celles des autres.» En d’autres termes, les agendas tant intérieurs qu’extérieurs de Moscou ou de Washington, de Téhéran ou Ankara sont très différents.

Des frappes plus fortes

Cela dit, explique le professeur Djalili, s’il devait finalement y avoir une entente – notamment entre Américains et Russes – «il s’agira pour la coalition d’augmenter de manière très forte les frappes aériennes, dans la mesure où celles effectuées jusqu’ici n’ont pas vraiment modifié les capacités de Daech à planifier et organiser des attaques à l’étranger, comme l’ont montré ces derniers jours les attentats d’Ankara, de Beyrouth et de Paris. Mais à ces frappes, il faudra sans doute ajouter des opérations sur le terrain pour collecter du renseignement.»

Perceptions différentes du danger

«Si tous les pays impliqués veulent combattre le terrorisme, il faut savoir qu’ils n’ont pas tous la même perception de la situation, ce qui me fait douter d’une action forte de cette coalition dans l’immédiat, poursuit le professeur Djalili. Pour l’Iran, par exemple, qui a toujours soutenu le président syrien Bachar el-Assad, il est inconcevable de l’abandonner du jour au lendemain. C’est la même chose pour la Russie. Ce constat me pousse a dire – même s’il faut attendre pour voir, qu’on risque d’arriver très vite aux limites de fonctionnalité de cette coalition internationale.»

Action politique indispensable

Bien évidemment, l’action militaire n’aboutira à rien si elle n’est pas accompagnée d’une action politique. «Dans ce sens l’accord auquel Obama et Poutine seraient parvenus en marge du G20 sur la nécessité de négociations sous l’égide de l’ONU entre le régime syrien et son opposition est une bonne chose», dit encore le professeur Djalili.

Le sort d’Assad et de la Syrie

Mais, ajoute immédiatement l’expert, «les positions sont encore très éloignées, notamment sur le sort de Bachar el-Assad. En plus de trouver un accord sur une sortie acceptable pour tous du président syrien, il faudra éviter l’erreur commise en Irak et en Libye où on s’est trouvé avec un vide du pouvoir après la chute du régime. Vide qui, en Syrie, pourrait être immédiatement comblé par Daech… ou d’autres qui ont le soutien de la majorité sunnite.»

Les priorités des uns et des autres

On l’aura compris, l’émotion suscitée par les attentats de Paris va peut-être donner un coup d’accélérateur aux discussions sur la résolution de la crise syrienne et partant de la lutte contre Daech. Mais, les priorités divergentes des uns et des autres pourraient compliquer les choses.

La France doit frapper

Depuis les attentats de vendredi, «la priorité de Paris n’est plus d’abattre Assad, mais de frapper et détruire Daech en Syrie, d’où l’organisation terroriste planifie ses attentats à l’étranger», assure le professeur Djalili.

La double priorité russe

Pour Moscou, poursuit l’expert, la priorité est double. Il s’agit, sur le plan régional, de «sauver le soldat Assad et les positions russes en Syrie, ainsi que les bonnes relations avec l’Arabie saoudite et Israël. Mais, la Russie est aussi très préoccupée par sa sécurité intérieure qu’elle sait menacée par ses djihadistes venus du Caucase et qu’il faut neutraliser.»

L’Iran et le conflit religieux

Dans ce contexte où les conflits sont multiples, l’Iran a aussi intérêt à ce que Daech soit durement frappé, dit le spécialiste. «Car pour lui le défi est aussi d’ordre religieux, puisque Daech est un mouvement fanatique sunnite dont l’ennemi sur le plan religieux sont les chiites. Et l’Iran est le symbole même de l’État chiite. Et qu’il le veuille ou non, l’Iran doit se battre contre cette menace. Une menace qui met aussi en causse sa sécurité intérieure, du fait de la présence d’une minorité sunnite sur son sol dont il craint la récupération par Daech.»

La Turquie et son président conforté

Quant à la Turquie qui a longtemps joué un rôle ambigu à l’égard de Daech et des islamistes syriens, «elle peut s’allier maintenant à ceux qui luttent contre ces derniers», assure le spécialiste. «Conforté dans son pouvoir depuis la victoire de son parti aux dernières élections, Erdogan a même tout intérêt à le faire, cela lui permettra de calmer le jeu sur la scène intérieure avec les Kurdes».

Les Etats-Unis en manque d’efficacité

Pour Washington, «la priorité est aujourd’hui de gagner en efficacité sur le terrain, raison pour laquelle il a envoyé des spécialistes au sol en Syrie pour mieux cibler les objectifs», explique le professeur Djalili. «Mais son autre priorité est de ne pas se faire marginaliser par une trop grande et trop efficace présence russe.»

Européens et Arabes absents

Par ailleurs, dans ce dramatique grand jeu, les Européens – faute de moyens – sont quasi absents de la lutte militaire contre Daech et se concentrent sur la menace intérieure, note encore le professeur Djalili. «Le problème de l’Europe c’est qu’il y a un cercle d’instabilité autour d’elle, en Méditerranée et en Ukraine, ce qui la pousse à renforcer les contrôles à ses frontières.» Enfin, très occupés par le Yémen, «les pays arabes sunnites (Arabie saoudite en tête) font profil bas dans la lutte contre Daech. Une organisation qui les menace aujourd’hui, alors que certains, en leur sein, l’ont peut-être soutenue», conclut le professeur Djalili.

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