L’impact des frappes françaises est symbolique mais pas tactique

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Sur un porte-avions dans le Golfe, les soldats français préparent des Rafale à une opération militaire en Syrie.  © AFP

Les djihadistes de l’Etat islamique (EI) sont sous le feu des bombes. Avec des bombardements dont les habitants de Raqqa disent qu’ils ont été massifs ces derniers jours, et notamment durant la nuit de lundi à mardi, la France a mis ses menaces à exécution: frapper au cœur du califat autoproclamé de l’EI. Les Etats-Unis, eux, ont ciblé le poumon économique de l’organisation, en bombardant une colonne de camions-citernes qui attendaient de faire le plein de pétrole à un terminal pétrolier près de Deir ez-Zor. Quant aux Kurdes irakiens, leurs combattants, les peshmergas, appuyés par les avions de la coalition menée par les Américains, ont repris vendredi le contrôle d’une artère vitale entre les deux capitales du califat: ils ont reconquis la ville de Sinjar, sur la route qui relie Mossoul à Raqqa.

Est-ce le signe d’un tournant dans la guerre contre l’EI? Un porte-parole du Ministère français de la défense a annoncé mardi que pour la deuxième nuit consécutive l’aviation a bombardé des infrastructures de l’EI dans son fief de Raqqa, détruisant un centre de commandement et un camp d’entraînement. Dans la foulée, des avions russes ont bombardé d’autres cibles dans la même ville. Des frappes qui, pour la première fois, ont été coordonnées entre Paris et le Kremlin. Cette opération illustre un revirement dans la politique française: désormais, la Russie est considérée comme un allié contre l’EI. Cette alliance constitue un sérieux revers pour l’EI, explique le général à la retraite Jean-Claude Allard, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS): «Seul un front uni contre l’ennemi commun pourra permettre vaincre l’EI.»

Mais sur le terrain à Raqqa, et selon plusieurs témoignages, les bombes françaises ont détruit des bâtiments vides, ou qui avaient déjà été visés par les nombreux raids de l’aviation russe. Mais pour Jean-Claude Allard, «il est trop tôt pour déterminer si les bombardements français ont effectivement neutralisé leurs cibles. L’EI prétend le contraire, car la propagande est à l’œuvre dans un camp comme dans l’autre, lorsqu’il y a une guerre.» La force de frappe française, consent l’ancien général, ne fera pas la différence: «L’effort militaire s’inscrit dans les opérations déployées par la Coalition sous l’égide de Washington, les opérations françaises n’ont, seules, pas d’impact décisif.»

Donner l’exemple

La valeur stratégique des opérations françaises sur Raqqa réside ailleurs: «A côté des objectifs militaires au sens strict, il y a un message symbolique. Premièrement, la France a montré qu’elle ne se laisserait pas faire et qu’elle était déterminée. Cela est adressé aussi bien aux djihadistes qu’à la population française, pour la rassurer. Deuxièmement, Paris donne l’exemple, alors que François Hollande a appelé, lors de son discours lundi au parlement, ses alliés à suivre la France dans sa guerre contre l’EI.»

La campagne de bombardements sous l’égide des Etats-Unis et qui dure depuis plus d’une année a petit à petit porté ses fruits: la progression de l’EI a été stoppée en Irak, depuis quelques mois déjà, et, plus récemment, en Syrie aussi. «Les peshmergas kurdes, largement soutenus par les forces américaines, ont même repoussé les djihadistes.» La raison de ces victoires? «La présence de troupes au sol, sans lesquelles il ne peut y avoir de reconquête des territoires pris par l’EI», analyse Jean-Claude Allard. En s’emparant de la petite localité de Sinjar, anciennement peuplée de yezidis, avant que ces derniers ne soient enlevés, chassés ou massacrés par l’EI, les peshmergas ont fait plus qu’une percée dans le camp de l’EI, ils menacent directement sa continuité géographique et la mobilité de ses combattants. «Pour le moment, poursuit Jean-Claude Allard, l’EI peut contourner Sinjar par le sud, mais l’objectif tactique est clairement de descendre le long de la frontière qui passe dans le désert entre l’Irak et la Syrie et de couper le territoire de l’EI en deux.»

Mais le succès de Sinjar ne pourra être reproduit partout en Irak, car les Kurdes irakiens ont annoncé qu’ils n’avaient pas l’intention d’aller au-delà des zones sur lesquelles ils réclament une souveraineté. «D’ailleurs, insiste Jean-Claude Allard, ce ne serait pas souhaitable. S’ils s’emparaient de Mossoul en la libérant, ils pourraient décider d’y rester, ce qui ne manquerait pas de provoquer une réaction violente du pouvoir central à Bagdad.»

Il en va de même en Syrie, les Kurdes des Unités de protection du peuple (YPG) sont les meilleurs alliés de la coalition contre l’EI, les seuls à même de mener avec succès le combat contre l’EI. Ils l’ont d’ailleurs prouvé à Kobané, en reprenant la ville aux djihadistes. Mais eux aussi refusent de porter l’offensive ailleurs que dans les régions de peuplement kurde. De plus, le gouvernement turc a clairement menacé les YPG de représailles s’ils traversaient l’Euphrate. L’allié kurde en Irak et en Syrie se trouve ainsi muselé.

L’absence de troupes au sol pour déloger l’EI de ses fiefs de Raqqa et de Mossoul marque la limite de la guerre contre les djihadistes. A l’issue du sommet d’Antalya, en Turquie, Barack Obama a annoncé qu’il était possible de s’emparer de Raqqa, mais que pour garder la ville, il lui faudrait des milliers d’hommes. Ni les Russes ni les Américains ne sont prêts à cela, encore moins les Français. Quant aux troupes de Bachar el-Assad, elles n’ont pas la force pour le faire, constate Fabrice Balanche, maître d’enseignement et de recherche au Washington Institute for Near East Policy: «Une alliance globale contre l’EI peut au moins travailler à tarir son financement et à couper ses lignes d’approvisionnement en armes. Mais cela prendra des années.»

 

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