Le djihadiste notoire a pu rentrer de Syrie sans être inquiété par les pays de l’espace Schengen

L’annonce de la mort du cerveau présumé des attentats de Paris, le djihadiste belgo-marocain Abdelhamid Abaaoud, a mis en évidence jeudi les failles des services de renseignement sur le continent européen.
Six jours après le carnage qui a fait 129 morts dans les rues parisiennes, le gouvernement français a salué la neutralisation de cette figure du groupe armé État islamique (EI) lors d’un spectaculaire raid policier à Saint-Denis, en banlieue parisienne. Mais il a aussi plaidé pour une meilleure coopération européenne en matière de lutte contre le terrorisme.
Abdelhamid Abaaoud, dont le corps criblé de balles a été formellement identifié, est parvenu à rentrer en France après avoir séjourné dans les camps du groupe EI en Syrie. « Aucune information émanant de pays européens dans lesquels il aurait pu transiter […] ne nous a été communiquée », a regretté le ministre de l’Intérieur français, Bernard Cazeneuve. À la veille d’une réunion d’urgence des ministres de l’Intérieur et de la Justice à Bruxelles, il a appelé l’Europe « à se reprendre », d’autant qu’Abaaoud faisait l’objet d’un mandat d’arrêt européen et international.Le djihadiste de 28 ans, condamné, recherché et omniprésent dans des vidéos de propagande du groupe EI tournées en Syrie, s’était déjà vanté dans le magazine du groupe EI, Dabiq, de s’être rendu en Belgique à l’hiver 2015 afin d’y monter une opération terroriste. Celle-ci a finalement avorté après un raid de la police belge, mais le jeune Abaaoud est rentré en Syrie sans être repéré.
Le premier ministre Manuel Valls a de son côté estimé que certains des djihadistes avaient pu « profiter de la crise migratoire » pour se glisser en France. Il a mis en garde contre une possible « remise en cause » du système Schengen « si l’Europe n’assume pas ses responsabilités » aux frontières.Des tentatives ratées
Le gouvernement français a confirmé que le jeune homme n’en était pas à sa première tentative d’attaque. Abaaoud était impliqué dans quatre des six attentats déjoués en France depuis le printemps, notamment dans un projet visant une église de banlieue parisienne, a déclaré M. Cazeneuve.Mercredi, 110 policiers d’élite avaient lancé un assaut sur un appartement de Saint-Denis, au nord de Paris, à la suite de renseignements, notamment un venu du Maroc, indiquant que le jeune terroriste se trouvait en fait en France. Surnommé Abou Omar al-Baljiki (« le Belge » en arabe), ce djihadiste de 28 ans est considéré comme l’organisateur des attentats de Paris, revendiqués par le groupe EI. Il se serait trouvé dans l’appartement de Saint-Denis avec sa cousine, Hasna Ait Boulahcen. Cette jeune femme de 26 ans, que les autorités s’affairent toujours à identifier, aurait déclenché un gilet d’explosifs à l’arrivée des policiers.
Ailleurs en France et en Belgique, la traque se poursuit afin de retrouver Salah Abdeslam, soupçonné d’avoir participé aux attentats. Un autre djihadiste, non identifié, serait peut-être aussi en cavale.« Contrairement à ce qu’on pense, il est très facile d’entrer et de sortir de l’Union européenne sans se faire repérer », a commenté le criminologue Christophe Naudin, spécialiste de la fraude documentaire, en entrevue à l’Agence France-Presse. « On peut considérer les contrôles à l’entrée de Schengen comme quasi inexistants. » Les 26 pays membres de l’espace Schengen n’ont en effet pas de frontières internes, ce qui réduit ou élimine les contrôles frontaliers.
La première chose que les groupes djihadistes font quand ils reçoivent de nouvelles recrues est de confisquer leurs papiers d’identité, a aussi expliqué M. Naudin. « On ne touche pas à la photo, c’est le nouveau porteur du passeport qui va tout faire pour y ressembler le plus possible. Il va se faire pousser la barbe, la tailler de la même façon. Et, plus de 99 fois sur cent, ça va marcher. C’est imparable, pas besoin de trafiquer le passeport. »Le groupe EI a aussi tout à fait les moyens d’acheter sur le marché noir des papiers contrefaits de la meilleure qualité qui soit. Plus efficace encore, sa prise de contrôle de provinces entières, en Irak et en Syrie, lui a permis de faire main basse sur des milliers de passeports irakiens et syriens vierges, qu’il suffit de remplir.
« Quand Abaaoud affirme qu’il a fait des allers-retours avec l’Europe, je le crois », a déclaré Christophe Naudin, qui estime que le seul frein au trafic de passeports résiderait dans l’emploi de la biométrie.Au-delà de l’Europe, la France a proposé au Conseil de sécurité des Nations unies une résolution prévoyant de prendre « toutes les mesures nécessaires » pour contrer l’organisation EI.
Pour la première fois depuis les attentats, le président Hollande a également ordonné lors d’un Conseil de défense d’intensifier les frappes contre le groupe EI en Irak.Sur le front intérieur, les députés français ont voté presque à l’unanimité en faveur de la prolongation pour trois mois et le renforcement de l’état d’urgence décrété au lendemain des attentats. Dans ce cadre, plus de 600 perquisitions ont eu lieu dans les milieux islamistes depuis samedi et une centaine de personnes ont été assignées à résidence.