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Florence Renard-Gourdon

Un convoi soldats Daech, route Raqqa, Syrie. La photo, authentifiée, prise militant l'organisation terroristeUn convoi de soldats de Daech, sur la route de Raqqa, en Syrie. La photo, authentifiée, a été prise par un militant de l’organisation terroriste – Uncredited/AP/SIPA

 

Pour vraiment comprendre Daech, il faut expliquer la genèse de ce groupe terroriste né en 1999.

Qui est Daech, ce groupe terroriste qui frappe de stupeur l’occident et la communauté musulmane et qui sème la mort partout ? Quelles sont les raisons de son essor ? Pour répondre à ces questions Vox.com a raconté l’histoire de ce groupe né en 1999, devenu l’une des organisations terroristes les plus riches et les plus puissantes du monde.

1989-1999 – Les prémices : la guerre en Afghanistan

L’histoire de Daech est étroitement liée à celle d’al-Qaïda. Tout commence en 1979, avec l’invasion soviétique en Afghanistan. La présence de plus de 100.000 soldats soviétiques choque. Les Occidentaux sont persuadés que les Soviétiques veulent se rapprocher des routes stratégiques du golfe Arabo-Persique, par où transite une bonne partie du pétrole mondial. Côté musulman, la résistance islamique s’organise et appelle au jihad, la guerre sainte, pour chasser l’envahisseur étranger. C’est à cette période qu’Oussama Ben Laden rameute d’autres jeunes radicaux qui, ensemble, vont former le noyau d’al-Qaïda.

En 1989, un Jordanien, Ahmad Fadhil Nazzal, se joint à eux. Plus connu sous le pseudonyme d’Abou Moussab al-Zarqaoui, il est à l’origine du groupe Etat islamique. Lorsque Zarqaoui , au passé de petit délinquant, effectue ce premier voyage en Afghanistan, il n’est pas encore un fanatique religieux mais juste un fantassin ordinaire. Jusqu’à ce qu’il rencontre Abou Mohammed al-Maqdisi, un des principaux promoteurs de l’islam fondamentaliste. Emprisonné en Jordanie, Zarqaoui absorbe les théories salafistes, apprend par cœur le Coran et, surtout, fédère autour de lui un groupe de prisonniers. Profitant d’une amnistie royale, Zarqaoui part pour la deuxième fois en Afghanistan. Il fonde alors son propre mouvement sans rompre avec al-Qaïda.

Néanmoins, les relations entre Ben Laden et Zarqaoui ont très vite été compliquées. « Alors que Ben Laden a grandi dans la classe moyenne supérieure et avait une formation universitaire, Zarqaoui et ses proches venaient de milieux pauvres moins instruits »,décrypte Aaron Zelin , chercheur à Washington sur la politique au Proche-Orient. « Le passé criminel de Zarkaoui et ses positions extrêmes sur le takfir ont créé des tensions » entre les deux hommes, explique-t-il. Pour mémoire, les takfiris considèrent que les musulmans ne partageant pas leurs points de vue sont des apostats, c’est-à-dire des musulmans qui ont renié leur foi et qui doivent mourir.

En 1999, Zarqaoui retourne en Jordanie où il crée son propre groupe, le Jamaat al-Tawhid wal-Jihad (JTWJ). Petit joueur parmi les djihadistes à ses débuts, éclipsé par al-Qaïda, ce groupe prendra plus tard le nom d’Etat islamique.

2003-2009 – L’ascension et la chute d’AQI

En 2003, l’invasion de l’Irak par une coalition emmenée par les Etats-Unis change tout dans le monde des djihadistes. La guerre menée par les Américains pour détruire l’Irak plonge de nombreux pays dans le chaos. Les combattants étrangers et les extrémistes commencent à se déplacer en Irak, aidé par le régime du président Bachar al-Assad en Syrie. Zarkaoui et son groupe sont parmi eux.

Zarkaoui regroupe autour de lui la frange la plus radicale de l’insurrection antiaméricaine y compris d’anciens officiers de Saddam Hussein. Sa notoriété grandit et attire l’attention d’al-Qaïda. En 2004, Zarqaoui promet la loyauté à al-Qaïda, en échange de quoi il reçoit des fonds et des combattants. Son groupe est alors rebaptisé al-Qaïda en Irak (AQI) et devient le premier groupe insurgé sunnite du pays.

AQI combat les Américains mais s’attaque aussi à d’autres Irakiens. Des mosquées chiites sont ainsi bombardées et des civils chiites sont tués. L’objectif d’AQI ? Faire en sorte que ces civils chiites se rebellent contre les sunnites qui ne verront alors pas d’autre alternative que de se rallier à AQI.

Ces méthodes contribuent à déclencher la guerre civile entre sunnites et chiites. Elles sont jugées trop vicieuses pour certains, même pour al-Qaïda. Celui-ci envoie un avertissement à Zarqaoui qui l’ignore . AQI s’installe sur une bande de territoire des régions sunnites de l’Irak mais manque de tout perdre à partir de 2006.

A cette période, en effet, les chefs tribaux sunnites détestent vivre sous la domination souvent violente de l’AQI. Ils sont de plus en plus convaincus que les chiites vont gagner la guerre civile qui sévit en Irak et pour éviter d’être du côté des perdants, ils prennent les armes contre AQI. Qui plus est, Zarqaoui est tué en 2006 par un raid aérien américain.

En 2009, presque tous les combattants de l’AQI sont morts ou en prison et le groupe n’est plus que l’ombre de lui-même.

Des années plus tard, par esprit de vengeance ou pour éviter que cet épisode ne se reproduise, le groupe terroriste abattra les membres des tribus sunnites en Irak.

2010 – Le retour d’AQI en Irak

Comment AQI a-t-il pu renaître de ses cendres aussi rapidement ? En grande partie grâce à la politique catastrophique menée en interne en Irak. En 2010, « l’Irak est dotée d’une relative bonne sécurité, d’un budget généreux de l’Etat, et les différentes communautés ethniques et religieuses du pays s’entendent relativement bien »,écrit Zaid al-Ali , auteur de « La lutte pour l’avenir de l’Irak ». Mais le Premier ministre irakien, Nouri al-Maliki, détruit cet équilibre fragile en dépouillant ses adversaires politiques, en nommant ses amis à la tête de l’armée et en tuant des manifestants pacifiques. Il commet aussi l’erreur de privilégier la majorité chiite sur la minorité sunnite privant de facto ces derniers du contrôle légitime de l’Etat.

AQI, très affaibli, en profite néanmoins pour nommer un nouveau chef, l’Irakien Abou Bakr al-Baghdadi, un Irakien, rallier d’anciens officiers de l’armée de Saddam Hussein et recruter des sunnites mécontents.

Août 2011 – AQI en Syrie

En mars 2011, en Syrie, des manifestants descendent dans les rues pour exiger le départ de Bachar al-Assad. Le régime syrien répond par les armes et provoque délibérément une guerre civile.

Assad met alors tout en œuvre pour grossir les rangs de l’opposition grâce aux extrémistes religieux. Entre mars et octobre 2011, en effet, il amnistie un nombre important d’entre eux . Assad fait le pari que si ses ennemis sont des militants islamiques, l’Occident n’interviendra pas contre lui, assure Fred Hof, conseiller spécial pour la transition en Syrie de l’administration Obama.

En Août 2011, Baghdadi envoie l’un de ses fidèles, Abou Mohammad al-Joulani, en Syrie, pour mettre en place une nouvelle branche d’AQI dans le pays. Joulani réussit et forme le Front al-Nusra en janvier 2012. Très vite al-Nusra se développe et grandit pour devenir l’une des plus puissantes organisations rebelles en Syrie.

Début 2012 – Le rôle essentiel des « business angels » du Golfe

Son développement, Daech le doit aussi à sa puissance financière. En 2012, la croissance du groupe vient surtout des dons étrangers, et notamment d’Etats arabes du Golfe comme le Koweït, l’Arabie saoudite et le Qatar. Ce ne sont pas les gouvernements qui investissent directement mais plutôt des particuliers qui veulent la chute de Bachar al-Assad et peut-être aussi la montée de l’extrémisme.

« Ces riches Arabes sont à l’AQI ce que sont les ‘business angels’ aux start-up technologiques, sauf qu’ils aident à démarrer des groupes qui veulent attiser la haine », expliquait en juin dernier, l’ex-amiral de l’Otan, James Stavridis sur NBC .

Ces bailleurs de fonds, bien moins importants aujourd’hui, ont eu un rôle crucial car ils ont fourni la manne nécessaire au démarrage de groupes terroristes. Une fois sur pied, ces derniers n’avaient plus qu’à lever des fonds par d’autres moyens, comme les enlèvements, la contrebande de pétrole ou bien la vente de femmes.

Juillet 2012 – Les détenus libérés

Dans l’histoire de l’ascension de Daech, il y a un chapitre très important qui est assez rarement évoqué : celui des spectaculaires attaques menées sur les prisons irakiennes en 2012-2013. Elles ont fourni au groupe une quantité énorme de nouvelles recrues. En Juillet 2012, al-Baghdadi publie une déclaration dans laquelle il rappelle à ses loyalistes leur « première priorité, qui est de libérer les prisonniers musulmans partout (…) » et en leur ordonnant de poursuivre, chasser et tuer « leurs bouchers », à savoir, les juges, les détectives et les gardes.

En un an, plus de 1.000 prisonniers sont libérés http://foreignpolicy.com/2014/06/26/the-great-iraqi-jail-break/ par le groupe terroriste. AQI ne fait aucune distinction parmi les détenus. « Les prisonniers condamnés pour des accusations criminelles » auraient de toute manière été recrutés au cours de leur incarcération, écrit un ancien analyste de la CIA, Aki Peretz . Et « même si les criminels ordinaires étaient en mesure de résister aux efforts de persuasion djihadistes en prison, ils se sentaient redevables face à leurs libérateurs », poursuit-il.

Avril 2013 – le divorce avec al-Qaïda

Baghdadi craint alors que Joulani – le commandant du groupe syrien le Front al-Nusra- n’agisse de façon trop indépendante et ne quitte AQI pour créer son propre groupe. C’est pourquoi en avril 2013, Baghdadi affirme un contrôle unilatéral sur toutes les opérations d’al-Qaïda en Syrie et en Irak. Il rebaptise alors AQI en l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL).

Ce changement passe mal auprès de Joulani qui renouvelle son allégeance à Ayman al-Zaouahiri, émir d’Al-Qaïda. Suivent des mois de conflit entre les deux groupes qui paradoxalement permet à EIIL d’émerger progressivement et de prendre le contrôle de grands pans de territoires en Syrie et d’élire pour capitale la ville de Raqqa.

En Février 2014, Ayman al-Zaouahiri en a assez. Il répudie formellement l’Etat islamique. Aujourd’hui encore, les deux groupes continuent de s’affronter.

Dans ce contexte, l’Etat islamique multiplie les brutalités, moyen essentiel pour capturer les cœurs et les esprits des combattants étrangers.

Daech ou Etat islamique ?

Pourquoi depuis quelques temps, les discours officiels privilégient-ils le terme Daech, acronyme arabe d’EIIL, Etat islamique en Irak et au Levant ? Le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, s’en est expliqué. « Le groupe terroriste dont il s’agit n’est pas un Etat. Il voudrait l’être, il ne l’est pas et c’est lui faire un cadeau que de l’appeler Etat. De la même façon, je recommande de ne pas utiliser l’expression Etat islamique car cela occasionne une confusion islam, islamisme, musulman. Il s’agit de ce que les arabes appellent Daech et de ce que j’appelle pour ma part les égorgeurs de Daech », a-t-il lancé.

Juin 2014 – Le califat

Le 10 juin 2014, environ 800 combattants d’EI parviennent à vaincre les troupes irakiennes et capturent Mossoul, deuxième ville d’Irak.

Cette conquête amène l’État islamique en Irak et au Levant à proclamer, le 29 juin 2014, l’établissement d’un califat sur les territoires syriens et irakiens qu’il contrôle. L’émir Abou Bakr al-Baghdadi est proclamé calife sous le nom d’Ibrahim et l’organisation prend le nom d’État islamique (EI). L’EI se revendique comme le successeur des précédents califats et, déclare qu’il est du « devoir » de tous les musulmans du monde de prêter allégeance au nouveau calife Ibrahim : « Musulmans (…) rejetez la démocratie, la laïcité, le nationalisme et les autres ordures de l’Occident. Revenez à votre religion ».

En créant un califat, Baghdadi prend une énorme longueur d’avance sur Al-Qaïda. EI réussit à attirer beaucoup plus de recrues qu’al-Qaïda, explique à Vox, Will McCats, directeur de projet à la Brookings Institution. Parallèlement, maintenant que le califat est déclaré, ils se doivent de gouverner leur territoire comme un Etat et assurer sa viabilité sur le long terme.

Août 2014 – L’invasion du Kurdistan

« Pour être le calife, il faut satisfaire aux conditions énoncées dans la loi sunnite », explique le journaliste canadien Graeme Wood. Le calife doit avoir un territoire dans lequel il peut imposer la loi islamique et doit faire la guerre pour l’étendre. C’est pourquoi l’EI s’empare de Sinjar, au nord du Kurdistan, en août 2014, se livrant à de multiples exactions contre la minorité religieuse yazidie qui y habite. Washington donne alors la situation des Yazidis comme l’une des justifications pour lancer en août une campagne de raids aériens en Irak contre l’EI.

Début 2015, l’EI commence à subir des défaites et perd même le contrôle de la ville sunnite de Tikrit en avril.

 

Juin 2015 : Menace sur Raqqa

A la mi-2015, les Kurdes syriens commencent à menacer le territoire de l’Etat islamique. Comme en Irak, EI tente d’envahir et de conquérir des pans de territoires en Syrie dominés par des groupes kurdes. Le groupe terroriste y arrive presque en octobre 2014, à Kobane, un bastion kurde à la frontière nord de la Syrie avec la Turquie. Mais les Kurdes se battent pendant des mois . En janvier, aidé par les Etats-Unis et les frappes de la coalition, ils repoussent l’Etat islamique. Et gagnent du terrain en Syrie jusqu’à se trouver à quelques kilomètres de la capitale de l’Etat islamique, Raqqa.

Ces victoires kurdes montrent que Daech a alors atteint les limites de sa stratégie militaire. Le groupe doit faire face à un flot d’ennemis sur trop de fronts différents. Sa capacité à manœuvrer rapidement est limitée par les frappes aériennes. Lentement mais sûrement, il perd du terrain. Depuis l’été dernier, l’Etat islamique aurait perdu quelque 25% de son territoire, assure Will McCants, directeur de l’institution Brookings.

Automne 2015 – Les attentats meurtriers à Paris

Le 13 novembre dernier, des terroristes prennent pour cible le stade de France, à Saint-Denis, puis des terrasses de café et restaurant dans les 10e et 11e arrondissements et enfin la salle de spectacle du Bataclan. 130 personnes sont tuées, plus de 380 autres sont blessées. L’Etat islamique revendique les attentats.

=> WEBDOC La France après les attentats

Mais pourquoi Daech envoie ses combattants à l’étranger alors qu’il perd du terrain en Irak et en Syrie ? Parce qu’il a l’obligation de mettre en scène ses victoires et de les proclamer haut et fort s’il veut pérenniser le califat. En frappant, il veut affirmer sa « victoire » sur ses ennemis étrangers et riposter aux frappes de la coalition. Paris n’est d’ailleurs pas la seule cible de Daech. Il a auparavant frappé le Koweït, le Liban et l’Arabie saoudite. Il a aussi revendiqué le crash de l’avion civil russe abattu depuis le désert du Sinaï en Egypte.

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