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énergies fossiles, Bill McKibben, défense de l’environnement, Des sociétés délinquantes, Megophthalmidia mckibbeni
Par Stéphane Foucart

Peter Kerr travaille pour l’Agence californienne pour l’alimentation et l’agriculture, mais c’est aussi un passionné d’arthropodes. En 2014, il découvre dans les forêts de Californie une espèce de moucheron du genre Megophtalmidia, passée jusqu’alors inaperçue. Comme découvreur, il obtient le droit de la nommer et la baptise Megophthalmidia mckibbeni : la notice descriptive de l’insecte précise que « l’épithète “mckibenni” a été donné à cette espèce en hommage à William Ernest “Bill” McKibben, auteur remarquable, militant pour la défense de l’environnement et fondateur de l’organisation 350.org ».
Longtemps, Bill McKibben, 54 ans, n’a guère plus pesé sur le cours des choses que le petit diptère qui porte son nom. Journaliste et auteur, il écrivait des articles et des livres sur l’environnement. Mais, depuis une décennie, ce grand échalas au visage émacié et austère est devenu l’une des personnalités les plus influentes de la lutte contre le réchauffement. L’organisation qu’il a fondée, 350.org, est devenue en peu de temps un instrument de mobilisation mondial autour de l’enjeu climatique et le fer de lance du mouvement pour le « désinvestissement », qui enjoint aux investisseurs de cesser d’injecter leurs fonds dans les sociétés extractrices de ressources fossiles – gaz, pétrole, charbon.
L’homme est diablement convaincant. C’est après une discussion avec lui qu’Alan Rusbridger, l’ancien directeur du quotidien britannique The Guardian, décide de prendre fait et cause pour le « désinvestissement » et lance son journal dans le combat mené par 350.org.
Créé en 2007 avec quelques étudiants du Middlebury College, dans le Vermont, le mouvement a désormais un budget de 10 millions de dollars (9,4 millions d’euros) annuels. « Nous avons besoin de fonds pour fonctionner, même si nous fonctionnons essentiellement sur le bénévolat, explique Bill McKibben. Et puis il faut avoir à l’esprit qu’Exxon dépense environ 100 millions de dollars par jour, uniquement pour ses opérations de prospection de nouveaux gisements d’hydrocarbures ! » L’organisation a grandi, mais elle reste un moucheron face à la puissance des industries fossiles.
« Des sociétés délinquantes »
Bill McKibben ne prend pas de précautions oratoires pour parler de ceux qu’il considère comme les grands responsables de la dérive climatique. « La valeur de ces entreprises est calculée sur la quantité de ressources fossiles qu’elles sont susceptibles d’exploiter, et des estimations crédibles suggèrent que cela représente environ 3 000 milliards de tonnes de carbone, raconte-t-il. Or nous ne pouvons en brûler que 500 milliards pour conserver une bonne chance de rester sous les 2 °C de réchauffement. Lorsque vous mettez ces deux chiffres côte à côte, il devient clair que ces sociétés sont des délinquantes. Leur business plan est cassé. »
Le diagnostic de Bill McKibben est un constat de plus en plus partagé outre-Atlantique, malgré le climatoscepticisme ambiant. Le 4 novembre, le procureur de New York a assigné en justice ExxonMobil pour dissimulation d’informations stratégiques aux investisseurs. Des documents confidentiels publiés par la presse américaine montrent en effet que les cadres du pétrolier américain étaient informés dès le début des années 1980, par leurs propres scientifiques, de l’imminence possible d’un changement climatique « catastrophique », si la combustion des fossiles se poursuivait à bride abattue. « Au lieu de nous alerter, ils ont nié la science et ont fait obstruction à la lutte contre le changement climatique », dit Bill McKibben.
D’abord journaliste au New Yorker, l’un des temples de la presse américaine, il quitte avec fracas le titre lorsque son directeur et mentor, William Shawn, en est brutalement évincé en 1987. Il n’a que 26 ans. Il devient journaliste indépendant et auteur à succès, dans la lignée de Rachel Carson et son Printemps silencieux (1963), premier ouvrage sur le scandale des pesticides. En 1989, il publie The End of Nature (traduit en 24 langues, et en français sous le titre La Nature assassinée, Fixot, 1994), l’un des tout premiers livres grand public sur le péril climatique. Plus d’une dizaine suivront.
Mais ne faire qu’écrire : à quoi bon ? La nécessité de s’engager lui apparaît au début des années 2000. « Je faisais un reportage au Bangladesh, ce pays maudit par la montée de l’océan et la fonte des glaciers, raconte-t-il. Le pays était à cette époque frappé par sa première épidémie de dengue. » Il contracte la maladie. « Je n’avais jamais été aussi malade de ma vie. Je m’en suis sorti parce que j’étais en bonne santé, mais de nombreuses personnes très pauvres en meurent… Je me souviens avoir alors pensé à quel point tout cela était incroyablement injuste. » Aux calamités climatiques s’ajoutaient les maladies transportées par des insectes dont l’aire de répartition ne pouvait qu’augmenter avec le réchauffement… « De combien d’émissions de gaz à effet de serre les Bangladais sont-ils responsables ? Presque rien, dit-il. J’ai été de moins en moins convaincu qu’un nouveau livre sur la question changerait quoi que ce soit. »
Un nouveau livre, peut-être pas. Mais un chiffre ? « Un jour James Hansen [un climatologue américain] m’appelle pour me dire qu’il a une bonne et une mauvaise nouvelle, raconte Bill McKibben. La bonne était que son travail lui avait permis de proposer une concentration limite de dioxyde de carbone [CO2]comme seuil de sécurité. La mauvaise était que ce seuil était de 350 ppm [parties par million] et que nous l’avions déjà largement dépassé. » De fait, il a été franchi vers 1990 et la concentration actuelle de CO2 est d’environ 400 ppm. Qui irait nommer une association en référence à une cause perdue ? Lui n’hésite pas. Pas de compromis.