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Frédéric Rohart
Si la conférence sur le climat qui s’ouvre lundi est un succès, c’est qu’elle sera parvenue à mettre tout le monde dans le même bateau. Il faudra ensuite arriver à le faire naviguer vers un horizon à 2°C.
La grand-messe peut commencer. À partir de lundi et pendant deux semaines, quarante mille personnes – politiques, diplomates, lobbyistes, militants, journalistes – vont envahir le site du Bourget à Paris pour une conférence qui doit marquer l’Histoire au fer. L’objectif est simple: mobiliser l’ensemble des pays de la planète pour enrayer le réchauffement de son climat. L’ambition est inédite. Aucun défi – et aucune guerre – n’a jamais mobilisé l’humanité de la sorte.
Avant même l’ouverture des portes de la 21e conférence des parties à la Convention de l’ONU sur le climat (Cop21), cette mobilisation générale prend forme. Mais Paris ne fera pas de miracle. Tout le monde a à l’esprit l’échec cuisant de la précédente tentative: à Copenhague, en 2009, l’espoir démesuré de la société civile s’était écrasé sur le mur de la realpolitik. Cette fois encore, Paris risque de faire des déçus. Si la conférence peut marquer l’entrée dans une nouvelle ère de collaboration internationale, elle ne sera qu’un pas sur la longue route diplomatique qui doit mener à la maîtrise du réchauffement. Points clés et enjeux: ce qu’il faut savoir avant l’ouverture des portes.
Qui participe?
Paris ne sera qu’un pas sur la longue route diplomatique qui doit mener à la maîtrise du réchauffement.
La conférence réunit les 195 pays parties à la convention de l’ONU sur les changements climatiques (UNFCCC). C’est l’Union européenne qui négocie au nom de ses 28 Etats-membres, ce qui n’empêche pas la Belgique et les autres d’envoyer leurs politiques sur place. En l’occurrence, la délégation belge comptera environ 150 personnes, dont une petite dizaine de ministres – trois fédéraux et trois wallons notamment. On distingue cinq grands groupes de pays, regroupés par intérêts: l’Union européenne, tête de peloton; les pays producteurs de pétrole, peu enthousiastes; les grands pays émergents, méfiants face au risque de compromettre leur développement sur l’autel du climat; les pays vulnérables, qui réclament des aides massives à l’adaptation; et les États-Unis, faiseurs de rois.
Quel est l’objectif?
Depuis 2010, l’objectif de limiter la hausse des températures à 2°C par rapport au début de l’ère industrielle est formellement intégré aux négociations. Le groupe d’experts de l’ONU sur le climat (Giec) estime qu’un réchauffement supérieur à cette limite aurait des conséquences majeures – notamment sur la production alimentaire à l’échelle mondiale. Pourtant, cet objectif reste sujet à remises en cause. Alors que l’Organisation météorologique mondiale estime qu’un réchauffement global de 1°C pourrait déjà être atteint cette année, les pays les plus vulnérables demandent un objectif de 1,5°C. L’objectif de 2°C doit-il être confirmé? Doit-on au contraire viser « moins de » 2°C, ou même 1,5°C? La question reste posée à Paris.
Quelle souplesse?
Quelle que soit la réponse à cette première question, l’Union européenne, notamment, entend qu’une possibilité de révision soit prévue dans le texte pour permettre un réajustement régulier des ambitions collectives à la lumière des avancées de la science.
Consolider l’objectif?
Faut-il aller plus loin dans la traduction de l’objectif global? L’Union européenne veut voir inscrire un objectif collectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 60% pour 2050 par rapport à 2010. Elle réclame aussi de voir inscrit l’objectif de décarboniser totalement l’économie mondiale pour la fin du siècle.
Contraignant ou pas?
Il faudra convaincre les Etats de relever leurs ambitions pour les mettre en phase avec l’objectif ultime.
Les négociations climatiques ont déjà accouché d’un accord contraignant: le protocole de Kyoto, par lequel une partie des pays industrialisés se sont contraints à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Mais depuis son adoption, ce sont les grands pays en développement, la Chine, l’Inde, le Brésil, l’Afrique du Sud, l’Indonésie, qui saturent l’atmosphère de gaz carbonique. Aujourd’hui, les pays « Kyoto », dont fait partie la Belgique, ne produisent que 14% des émissions mondiales (et… 0% de la croissance des émissions). La conférence de Paris cherche à bâtir un accord pour prendre la suite de ce protocole, à partir de 2020. Cette fois, l’accord devra être applicable à toutes les parties. Mais pourra-t-il être juridiquement contraignant, comme le protocole de Kyoto? C’est l’ambition de l’Europe, mais elle pose problème à Washington. Car pour être applicable aux Etats-Unis, un protocole contraignant devrait être approuvé par le Sénat, ce qui en l’état actuel des équilibres politiques est difficile à envisager.
Hybride, cet accord?
Qu’il soit contraignant ou pas, l’accord qui se dessine devrait laisser chaque pays avancer au rythme qu’il souhaite. C’est un processus hybride. L’objectif général de limitation des températures est proclamé d’en haut. Mais sa traduction se fait par le bas. Ce n’est pas une équation de répartition qui définit l’effort à fournir par chaque pays. Au contraire, chaque pays a déjà présenté librement les objectifs qu’il compte atteindre – ce qu’on appelle dans le jargon onusien les « INDC » (Intended Nationally Determined Contributions)… C’est une architecture originale, qui veut que la convergence vers l’objectif collectif se fasse progressivement et dans le respect des volontés nationales. Naturellement, cela ne permet pas d’atteindre le compte du premier coup. Pour l’heure, 152 pays, qui produisent 94% des émissions, ont communiqué leurs engagements: à supposer que ces annonces non contraignantes soient effectivement réalisées, il faudrait s’attendre à un réchauffement global d’au moins 3°C d’ici la fin du siècle. Si l’accord de Paris est bien adopté, il faudra donc au fil du temps convaincre des Etats de relever leurs ambitions pour les mettre en phase avec l’objectif ultime. Un pari sur l’avenir.
Quel contrôle?
Si la formule des contributions nationales volontaires (INDC) permet d’avancer, elle présente le risque de rendre les efforts illisibles. L’accord de Paris va donc tenter de jeter les bases d’un système transparent qui permette de contrôle les progrès de chacun. Les Européens plaident pour l’instauration d’un contrôle régulier – tous les cinq ans par exemple – de l’état d’avancement de chaque pays.
Où est l’argent? (1)
Toute l’architecture de l’accord repose sur le concept de « responsabilité commune mais différenciée » dans la lutte contre le réchauffement. Les économies matures sont largement responsables des émissions historiques de CO2, les émergents sont les grands pollueurs actuels, et les pays en développement sont souvent en première ligne face aux effets négatifs du réchauffement sans en porter la responsabilité. Dans ce contexte, l’aide à l’adaptation et à la lutte contre les gaz à effet de serre est un point clé dans l’équilibre des négociations. À Copenhague, les parties ont convenu de mobiliser 100 milliards de dollars par an à cet effet à partir de 2020, mais les pays en développement veulent des garanties avant de s’engager.
Où est l’argent? (2)
Les 100 milliards par an promis doivent servir à financer l’atténuation du réchauffement et l’adaptation des pays en développement aux bouleversements à venir. Mais ils ne permettent pas de compenser les dégâts irréversibles liés aux changements climatiques. Le groupe des pays les plus vulnérables demande donc la mise en place d’un nouveau mécanisme de « pertes et dommages » par lequel les pays responsables des émissions paieraient des compensations. La demande a peu de chances d’aboutir mais reste un outil de négociation important.