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Hugo Thérond

Malgré le renforcement de leurs compétences, les marges de manoeuvre des régions françaises demeurent très encadrées par l’Etat, et se heurtent à celles des métropoles.

© cor125 – CC0

Éclipsées par les attentats du 13 novembre et la COP21, les élections régionales des 6 et 13 décembre revêtent un caractère inédit à plus d’un titre.

D’un point de vue purement politique, il s’agit du dernier scrutin local avant les présidentielles de 2017, et les partis ont placé leurs poids lourds en têtes de listes : des chefs de partis côtoient d’anciens (et actuel) ministres et le président de l’Assemblée nationale, pour une élection habituellement réservée aux seuls barons locaux.

Et pour la première fois, le Front national pourrait prendre les manettes d’une ou plusieurs grosses collectivités.

La prochaine mandature s’ouvrira également sous de nouveaux auspices institutionnels : outre les périmètres issus des fusions, effectifs le 1er janvier 2016, les régions voient leurs prérogatives renforcées par le « troisième acte » de la décentralisation.

La révolution institutionnelle n’a pas eu lieu

Mais les partisans d’une forte régionalisation restent sur leur faim. “Cette réforme est inaboutie, il aurait fallu créer une véritable onde de choc”, estime Olivier Régis, coprésident du Forum pour la gestion des villes et des collectivités territoriales, et auteur, avec Éric Giuly, de “Pour en finir (vraiment) avec le millefeuille territorial”.

Il aurait fallu, selon eux, simplifier davantage le rôle des départements, en fusionnant ceux à dominante urbaine avec les agglomérations ou les métropoles. Olivier Régis pointe la résistance du Sénat, où siègent de nombreux départementalistes.

“De Gaulle avait déjà perdu son référendum sur la régionalisation en 1969 à cause du Sénat… ”

« Il n’y a pas que le Sénat, souligne Romain Pasquier, directeur de recherche au CNRS et auteur en 2012 d’un ouvrage consacré au’pouvoir régional’. Les grands corps d’État – inspecteurs des finances, de l’administration, des affaires sociales – ne sont pas prêts à partager leur pouvoir. Et les syndicats, drogués à la centralisation, freinent aussi les velléités de régionalisation. »

Régions-métropoles, un couple ombrageux

La relation de “couple” avec les intercommunalités et les métropoles, également renforcées par les lois de décentralisation, pourrait se transformer en bras de fer. La chronologie législative y est pour quelque chose : la loi Maptam a donné de l’envergure aux métropoles avant que la loi Notre ne se penche sur les prérogatives régionales.

« L’enjeu du nouveau mandat régional, c’est le développement économique et l’emploi », juge Olivier Régis. Les régions ont obtenu la compétence exclusive sur les régimes d’aides aux entreprises, mais les métropoles disposent de la maîtrise du foncier et de l’immobilier.

“Où s’arrête le foncier, où commence l’aide en elle-même ?, interroge un acteur régional. La loi laisse libre cours aux interprétations, avec de possibles conflits à la clé. ”

D’autant plus qu’elle autorise les métropoles à définir leurs propres orientations stratégiques en matière de développement économique. Romain Pasquier pointe un « risque de paralysie institutionnelle dans plusieurs régions ».

Le challenge de l’emploi

Avec le Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet), les régions disposent désormais d’un outil prescriptif : elles pourront imprimer leur marque sur le désenclavement des territoires ruraux, la gestion des déchets, la lutte contre l’étalement urbain, ou encore la qualité de l’air. Elles acquièrent également le leadership sur les transports interurbains, au détriment des départements.

La loi Notre a également conféré la possibilité aux régions de s’affirmer sur l’emploi. Elles pourront expérimenter la coordination des différents acteurs et dispositifs (missions locales, maisons de l’emploi, plans locaux pour l’insertion et l’emploi…), mais sans empiéter sur Pôle Emploi, qui demeure sous la responsabilité exclusive de l’État.

Les régions Pays de la Loire et Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes devraient ouvrir le bal. Le Premier ministre a donné officiellement son feu vert à la première, pour lui déléguer une partie du service public de l’emploi.

« Si les nouveaux exécutifs ont le courage de s’emparer de cette nouvelle compétence, ce sera une grande avancée. On a tout essayé pour résorber le chômage, sauf ça », commente Romain Pasquier.

Lui qui prône l’émergence de « länder à la française » juge la réforme territoriale « assez décevante dans l’ensemble ». L’avancée la plus intéressante est, à ses yeux, le « début de pouvoir réglementaire » des régions.

Elles pourront « présenter des propositions tendant à modifier ou adapter des dispositions législatives ou réglementaires » concernant leurs compétence, leur organisation et leur fonctionnement, dispose le Code général des collectivités territoriales tel que modifié par la loi Notre.

Mais Romain Pasquier souligne la « lourdeur de mise en œuvre » de ce pouvoir normatif, encadré de près par l’État, et que « les conflits politiques et institutionnels risquent de fragiliser ».

Des nains budgétaires sans liberté fiscale

En devenant, en 2014, autorités de gestion d’une partie des fonds européens de la politique de cohésion, les régions ont acquis davantage de responsabilité à l’échelle européenne.

Mais cela ne doit pas masquer leur très faible capacité budgétaire. Une étude de Standard & Poor’s d’août 2015 le rappelle : la Catalogne, la Lombardie ou encore la Communauté flamande disposent chacune de budgets qui égalent la somme des budgets des régions françaises (25,5 milliards d’euros). La Rhénanie-du-Nord-Westphalie affiche des moyens (61,4 milliards d’euros) 14 fois supérieurs à ceux de l’Île-de-France (2,2 milliards).

Certes, les régions vont se voir octroyer, à partir de 2017,  25 % de part supplémentaire de la Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), pour financer leur offre de transport. Mais elles ne bénéficient pour l’heure d’aucune ressource supplémentaire pour leur compétence développement économique. Et elles vont continuer à subir, comme les autres collectivités, la baisse des dotations de l’État.

Surtout, les régions disposent d’une autonomie fiscale quasiment réduite à néant depuis la suppression de la taxe professionnelle en 2010. Le cadre budgétaire dans lequel elles agissent échappe donc complètement à leur emprise.

« La France n’est pas fondamentalement décentralisatrice. Ses régions sont encore loin de jouer à armes égales avec les grandes régions européennes », tranche Olivier Régis.

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