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François Brabant

C’est juste un prénom, mais pour les deux cents militants du Front national présents ce dimanche soir, il rime avec révolution. « Marine ! Marine ! Marine ! » Depuis la fin de l’après-midi, les écrans géants placés de part et d’autre de la scène relayaient un flot d’images, mais aucun résultat. La loi française interdit toute divulgation des chiffres électoraux avant 20 heures. Le moment fatidique vient de passer. « Raz-de-marée pour le Front national », a aussitôt annoncé la présentatrice, à la télévision. Et les applaudissements ont fusé de toute la salle François-Mitterrand, à Hénin-Beaumont, où le FN organise sa soirée électorale. Les premières estimations donnent 42 % à Marine Le Pen, candidate à la direction de la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie. « Marine ! Marine ! Marine ! »

Une demi-heure plus tard, la présidente du FN s’avance sur scène. « Marine présidente ! Marine présidente ! » Le ton se veut solennel, avec cette fermeté martiale, quasi virile, devenue sa marque de fabrique. « Le peuple s’est exprimé, et avec lui la France relève la tête. » Il est question de « féodalités politiques et médiatiques », de « campagnes de calomnie et de diffamation ». A Calais, où des centaines de migrants campent dans une « jungle » aux abords de la ville, plus de 50 % des électeurs ont donné leur voix au FN. Exultation dans la salle. Marine Le Pen promet de « reconquérir les territoires perdus de la République ». Les mots claquent. C’est déjà fini. L’intervention a duré trois minutes.

Que ce message soit diffusé aux quatre coins de la France depuis Hénin-Beaumont est, en soi, tout un symbole. Marine Le Pen n’a pas choisi Lille, ni Arras, ni Valenciennes, ni aucun des centres économiques et culturels de la région. Elle a préféré une bourgade de 30 000 habitants, abîmée par le déclin, comme il y en a quantité d’autres dans l’ancien bassin minier, cette étroite bande de 120 kilomètres de long et de 10 kilomètres de large, qui strie le nord de la France. Modelée par l’essor de l’industrie au XIXe siècle, la ville n’a jamais rebondi depuis la fermeture du dernier charbonnage, en 1970. Entre boulevard Salvador-Allende, rue Jean-Jaurès et rue du Premier-Mai, la toponymie rappelle qu’elle fut longtemps un bastion socialiste et communiste. C’est fini. Lors des élections de mars 2014, le FN a ravi la municipalité à la gauche, au pouvoir depuis 1919.

« Hénin-Beaumont, c’est notre préfecture à nous, c’est d’ici que la flamme de l’espoir a repris vigueur », flambe le maire, Steeve Briois. Petit-fils de mineur, ce cadre commercial a été à l’origine de l’installation de Marine Le Pen à Hénin-Beaumont, en 2007. Cette année-là, le FN s’était effondré dans toute la France, sauf à Hénin-Beaumont. La fille de Jean-Marie Le Pen était alors en quête d’un ancrage local. Briois l’a convaincue que son salut passerait par l’éloignement de Paris et le rapprochement des marges de la France.

Chemise blanche largement ouverte, costume deux pièces en laine grise, mouchoir violet à la poche de la veste, Steeve Briois raconte avec délectation la dédiabolisation du parti, l’arrivée en masse des « nouveaux lepénistes ». « Ma voisine est mariée avec un monsieur d’origine maghrébine. Avant-hier, elle m’a dit : avant, je n’aurais jamais pu voter pour vous, mais là, je me tâte. »

Derrière la scène, quinze drapeaux sont déployés. Le bleu-blanc-rouge national, mais aussi le Lion des Flandres et les anciens écussons de Picardie. « On veut mettre en avant nos territoires, nos identités », explique Steeve Briois. Durant la campagne, Marine Le Pen a plaidé pour des menus « made in France » dans les cantines scolaires. « On défend les circuits courts, les produits locaux. On ne va pas importer des pommes de terre d’Afghanistan alors qu’on en produit ici. »

Le bar ouvre. Le vin blanc coule. Les militants se ruent vers le buffet : wraps de poulet, petits sandwiches mous au fromage, toasts de pâté. Marine Le Pen peut-elle gagner au second tour ? Les spéculations vont bon train. Le journal « La Voix du Nord » a appelé à barrer la route à l’extrême droite. « C’est la bien-pensance, l’élite… Ce qui importe, c’est le peuple », entend-on. Un jeune gars à casquette : « Le système se défend, donc ce ne sera pas simple. »

Une nouvelle ère s’annonce, veut croire Jeanine Plomb. Avant la retraite, elle a géré plusieurs salons de coiffure. Elle votait à gauche quand elle était jeune, puis s’est tournée vers la droite, avant d’adhérer au FN en 2008. « La première fois qu’on m’a présenté Marine Le Pen, j’ai eu le coup de foudre. Elle a tout d’une grande. »

« Les gens votent plus Marine qu’ils ne votent FN. C’est une figure maternelle », précise Jérémy Jähninck, 25 ans, un diamant à l’oreille droite et des lunettes de soleil style Daft Punk sur la tête. Sa famille ? Des descendants d’Allemands et de Polonais qui ont immigré dans les années 1920. « Le problème, c’est pas les étrangers, c’est ceux qui foutent la merde. » Jérémy est au chômage, comme 22 % des habitants de sa ville, Soumain. Il occupe son temps en rédigeant des fiches Wikipedia sur les courses cyclistes de la région. « Il y a encore trois ans, dans le quartier, les gens me charriaient en m’appelant Le Pen. Mais la semaine passée, quand je collais des affiches, un habitant m’a dit qu’il voterait pour Marine. Cela m’a étonné, car je le connais et je n’aurais jamais cru ça de lui. »

Frank, 50 ans, dirige une petite société de service après-vente. « Moi, je suis apolitique. L’Europe est faite pour les multinationales, pas pour les gens. » Il a voté Sarkozy à la présidentielle mais a été déçu. « Les dirigeants de gauche et de droite sortent tous des mêmes grandes écoles, comme l’ENA. Il est temps de donner leur chance à d’autres. »

A la sortie de la salle, une mère porte un nouveau-né dans les bras. Elle lui murmure à l’oreille une berceuse : « Allez, ma puce, chante avec nous… Marine ! Marine ! Marine ! »

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