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Christian Lecomte, Saint-Symphorien

Dans ce village de Bourgogne de 373 habitants, la liste d’extrême droite a frôlé dimanche les 60%. Un choix justifié par la désillusion et le sentiment d’abandon des «petites gens»

Lorsque l’on frappe à la porte de la mairie de Saint-Symphorien-sur-Saône, en Côte-d’Or, c’est Madame le maire qui répond depuis l’étage. «Ici, ils n’aiment pas les étrangers, alors vous devriez partir vite», dit-elle en refermant les volets. Marie-Josèphe Lottier, 72 ans, est de fort mauvaise humeur. Pour le moment, elle coupe court à tout projet d’entretien, mais s’adoucira en milieu de journée.

Que se passe-t-il dans ce village de 373 âmes, bordé par la Saône et d’une quiétude totale? «Il se passe que nous avons voté dimanche à 59,5% pour le Front national, c’est leur plus gros score dans le canton mais aussi en Bourgogne. C’est une honte pour le village et pour Marie-Josèphe qui est de droite, pas d’extrême droite», raconte Andrée, trois baguettes sous le bras achetées chez la boulangère itinérante. «Plus de commerce chez nous, c’est pour ça aussi que les gens sont aigris, ils se sentent abandonnés, les vieux comme les jeunes.» Elle enchaîne en riant: «J’ai

Andrée a «voté écolo». Mark Henley/Panos Pictures / Mark Henley / Panos Pictures
 voté écolo et on a été que deux dans le bourg.» Puis énumère: «Pas d’immigrés chez nous, pas de drogue, pas de bagarre, pas de meurtre. Regardez le village c’est tout le temps comme ça, il ne se passe rien. Je ne comprends pas pourquoi ils votent Le Pen.»

«Un raz-de-marée»

La région Bourgogne fusionnée désormais avec celle de la Franche-Comté a toujours voté à gauche aux régionales jusqu’à ce dimanche 6 décembre 2015: 31,2% pour le FN représenté par Sophie Montel, 24,1% pour le candidat de droite François Sauvadet et 23,4% pour la socialiste Marie-Guite Dufay. Sophie Montel arrive en tête dans sept des huit départements de la nouvelle région.

«Un raz-de-marée qui a fait déborder la Saône et qui a inondé tout le village», rigole Laurent Lapostolle, un solide agriculteur. On le retrouve rue Vernier, dans sa ferme implantée dans le village, face à une autre exploitation. Laurent a 150 hectares de terre et environ 200 vaches allaitantes, des Charolaises et des Blondes d’Aquitaine. Il explique: «La viande ne se vend plus, le prix des céréales chute, on est smicards, on paie de plus en plus d’impôts et pendant ce temps-là, les ordures parisiennes s’engraissent. On a tout essayé en France, Sarkozy et puis Hollande, mais les deux ont lâché les campagnes et les petites gens. Alors il faut donner sa chance au FN, pour voir. S’ils emportent deux régions on aura une vision de leur politique avant la présidentielle.» Laurent Lapostolle ajoute: «Je ne suis pas raciste, mais quand vous allez boire un verre en terrasse à Saint-Jean-de-Losne [petite ville voisine] vous voyez des Turcs qui font les fiers dans des BMW et des Mercedes. Et ils n’ont pas de travail officiel. Ils font comment?»

Il n’y a pas que les bouseux qui votent FN, ceux qui ont fait des études aussi, comme notre vétérinaire

Le fermier d’en face, Gabriel Verne (90 hectares, 120 bêtes) se joint à la conversation: «A Paris, ils parlent de vote sanction et c’est le juste mot. On ne sait même pas si le Front national fera mieux parce que c’est la grande finance qui gouverne, mais il faut essayer avec eux. Et ne croyez pas qu’il n’y a que les bouseux qui votent FN, les intellectuels aussi, ceux qui ont fait des études, comme notre vétérinaire.» L’épouse de Gabriel ainsi que son fils, qui est conseiller municipal à Saint-Symphorien, ont eux aussi apporté leur voix à Sophie Montel. Joaquim, le fiston, justifie: «Dans deux ou trois ans, je vais reprendre la ferme parce que c’est tout ce que l’on sait faire, on ne gagne rien, juste de quoi payer l’électricité et les impôts, et on mange ce que l’on produit. Le Front ne peut pas faire pire que la gauche ou la droite, c’est pour ça qu’il est le premier parti de France.»

«Les gens 
devraient voyager»

Marie-Josèphe Lottier appelle, elle accepte de recevoir en mairie. Le rez-de-chaussée est occupé par une classe de 23 élèves. Madame le maire, en haut des marches: «Des bruits d’école, c’est bien, c’est la vie! Dans deux ans, il n’y en aura plus. Regroupement général des enfants à Auxonne, à 15 km de là. Le village meurt. On avait trois bistrots-épiceries jadis, il n’y a plus rien. Et après, on s’étonne que les gens votent pour les extrêmes.» On lui fait part du vote des éleveurs et de leurs griefs. «Qu’ont-ils à râler ces deux-là? Quand un veau crève, ils touchent des subventions. Ils achètent des tracteurs neufs et ont les moyens de garder les anciens. Les gens ne savent pas leur bonheur. On a ici un port et des bateaux de touristes qui achètent à la ferme. Les vieux ont des petites retraites, ils ne paient pas d’impôts. Les jeunes travaillent à Dole ou à Dijon. Je vais vous dire: les gens devraient voyager, ils comprendraient la misère du monde et leur chance.»

La misère du monde s’est approchée de Saint-Symphorien il y a deux mois de cela. A Auxonne, la base nautique s’est muée en centre de réfugiés pour des migrants de Calais. Une quarantaine d’hommes qui ont fait le choix de rester en France. Voilà qui expliquerait aussi le gros score du FN dans le canton. Une habitante, animatrice dans une maison de retraite, s’insurge contre cette venue: «Depuis Charlie et les attentats de Paris, tout le monde a peur et on ne sait pas qui sont ces gens, ce qu’ils sont venus faire. Il y a des gens qui fuient la guerre, mais on se dit que certains peuvent l’amener ici. Et puis, l’Etat leur verse 12,80 euros par jour, alors que par ici il y a plein de chômeurs en fin de droits.»

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