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état d'urgence, Constitution, De gaulle, François Hollande, Front National, Islamisme
C’était une illusion. Le regain de popularité sur lequel comptait le président de la République relevait du malentendu. On peut approuver des décisions sans avoir confiance dans celui qui les prend. Ce n’est pas François Hollande qui fut jugé « à la hauteur de la situation » après les carnages du 13 novembre. Mais sa volte-face : rompre avec tout ce qu’il avait dit et fait jusqu’alors. Pour dire et faire ce que la droite et le Front national proposaient dès le 11 janvier. Et que la gauche avait refusé avec indignation. Le drapeau partout. La nation pardonnée. La guerre déclarée. Les agités du Coran contrôlés. L’état d’urgence prolongé. La police en liberté. Et même la déchéance de nationalité du discours de Grenoble !
Après le reniement européen inspiré par Merkel, le reniement sécuritaire inspiré par Sarkozy. C’est simple, finalement. Une vraie conversion impliquerait un peu d’autocritique. Pas question. François Hollande pille ses adversaires sans leur donner raison. Et le leur annonce au Congrès, inaugurant une réforme sarkoziste qu’il a combattue… Bravo, l’artiste. L’habileté : sa force tranquille. Elle l’a amené au sommet et, vu l’état de la droite, peut l’aider à y rester. Grâce à Marine Le Pen. Une seule règle : attendre et profiter de la situation. Eviter les difficultés. Viser les facilités. La gravité sincère n’exclut pas la désinvolture pratique. « Le pacte de sécurité l’emporte sur le pacte de stabilité. » Bon débarras : plus de comptes à rendre. Dire, c’est faire. La méthode Sarkozy a du bon. Lui décrétait des lois de circonstance comme il respirait. Voyons plus grand. Changeons donc la Constitution !
C’est un autre malentendu : certains reprochent à François Hollande de trop penser à la sécurité alors qu’il pense d’abord à la politique. Il rêvait du sacre du Congrès avant 2017. Faute de pouvoir le faire pour les langues régionales et le droit de vote des étrangers, il veut constitutionnaliser « l’état d’urgence ». Pendant « l’état d’urgence ». Un coup inutile et dangereux. Au prétexte de rectifier une prétendue « anomalie juridique » : l’état d’urgence n’est prévu que par une loi (votée en 1955 pour faire face au terrorisme FLN) tandis que relèvent de la Constitution l’état de siège transférant une partie des pouvoirs civils aux autorités militaires (article 36) et les pleins pouvoirs présidentiels en cas de menace grave sur l’intégrité du territoire (article 16).
Cet arsenal juridique gradué a permis au général de Gaulle de passer le cap de la guerre d’Algérie sans qu’il pense à constitutionnaliser la loi sur l’état d’urgence. Et, contrairement aux arguments invoquant sa fragilité juridique, celle-ci, appliquée déjà six fois, a été validée par le Conseil constitutionnel lors de sa mise en œuvre en Nouvelle-Calédonie, en 1985, et le Conseil d’Etat l’a jugée en 2005 compatible avec la très libérale Convention européenne des droits de l’homme. Faire de cette loi d’exception une norme constitutionnelle échappant encore plus aux juges constituerait une paradoxale contribution à l’Etat de droit.
Ce prurit constitutionnel de François Hollande ne cherche qu’à piéger la droite, sommée, au nom de la patrie, de se rallier au panache présidentiel. D’où la proposition d’étendre la déchéance de nationalité qui lui a été empruntée. Autre coup inutile et dangereux. Inutile sur la forme : la déchéance n’est pas contraire à la Constitution. Comme sur le fond : la perte d’une nationalité qu’il méprise n’empêchera un djihadiste ni d’agir ni de continuer à nuire. On se souvient du cas Djamel Beghal, déchu de sa nationalité française, mais que la Cour européenne des droits de l’homme avait interdit d’expulser en Algérie : hébergé aux frais du contribuable dans un hôtel du Cantal, il y recevait Chérif Kouachi et Amedy Coulibaly pour leur donner des conseils… Si l’on veut toucher aux symboles, c’est le principe de la double nationalité qu’imposent des Etats comme le Maroc, l’Algérie et Israël qu’il faudrait discuter.
Mais, surtout, la déchéance de nationalité constituerait une facilité en effaçant l’identité de Français attaquant ou menaçant des Français. Des traîtres à propos desquels « nous nous gardons bien d’utiliser des infractions teintées de nationalisme », comme le regrette le juge Trévidic, y décelant la « honte d’affirmer judiciairement que c’est un crime pour un Français de combattre l’armée française ». L’ennemi intérieur désigné par Manuel Valls ne doit pas être considéré comme issu de l’étranger et devant y retourner, mais comme l’adhérent (pas toujours binational) d’une idéologie religieuse criminelle qu’il faut punir et empêcher de nuire. Il ne doit pas être dénationalisé, mais condamné et neutralisé.
L’Etat de droit, c’est la répression pénale effective des criminels. Mais les condamnations pour « association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste » sont très faibles par rapport aux peines prévues. Celles, plus lourdes, pour « intelligence avec une puissance étrangère » (y compris un mouvement menant une guérilla) ne sont pas appliquées. Le parcours de nombre d’acteurs des massacres de janvier et novembre 2015 a montré l’impunité que leur permettaient le bazar policier et le laxisme judiciaire. Parce que 100 000 peines de prison ferme ne sont pas exécutées, la réforme pénale votée en août 2014 a pour objectif principal de les réduire encore. Ce n’est pas la Constitution gaulliste de 1958 qu’il faut réviser. Mais la politique hollandaise de 2015.
