Propos recueillis Jean-Sébastien Lefebvre et Luis Grasès
Contexte relance ses entretiens avec des personnalités européennes incontournables à Bruxelles. La Néerlandaise est l’une de ces élues, qui a choisi de s’investir pleinement au Parlement, et ose dire non aux États, notamment au ministre de l’Intérieur français.
Sophia in’t Veld au Parlement européen à Strasbourg All rights reserved
La protection des données est votre combat depuis presque douze ans. Vous avez contribué à contraindre les États-Unis à renégocier les accords sur les fichiers des compagnies aériennes et les échanges d’informations bancaires. D’où vient cet engagement ?
C’est lié à l’histoire de ma famille politique, Democraten66. Un parti créé contre les formations établies, pour lutter contre une vie parlementaire trop fermée.
La protection des données et de la vie privée représentent parfaitement le lien entre les autorités et les citoyens. Depuis les attentats du 11 septembre 2001, nous avons donné beaucoup de pouvoir aux forces de police, un déséquilibre s’est créé à la défaveur des citoyens et du contrôle qu’ils peuvent exercer sur ceux qui les gouvernent.
Vous êtes considérée comme une élue influente, dont les avis sont déterminants pour les prises de décision au sein de la commission des Libertés civiles du Parlement européen (LIBE). Comment devient-on un faiseur de décisions au sein du Parlement européen ?
Influente ? C’est vous qui le dites. Je ne décide pas toute seule, et il n’y a pas de recette miracle. Pour se faire entendre, il faut être engagé, s’exprimer, avoir des arguments, convaincre les gens.
Aujourd’hui j’ai de l’expérience, je connais les règles du jeu, je dispose d’un réseau de contacts, mais le contexte a énormément changé. Il est devenu beaucoup plus compliqué, même pour quelqu’un qui est là depuis longtemps, de trouver une majorité au sein du Parlement. Elles ne sont plus certaines, parfois elles ne sont pas claires. Il y a 10 ans, avec la même expérience, j’aurais pu faire bouger plus de lignes.
Dorénavant, pour un novice, gagner en influence est bien plus difficile.
Parmi les dossiers qui comptent beaucoup pour vous, celui du PNR européen, ce regroupement des fichiers nationaux des compagnies aériennes, censé aider à la lutte contre le terrorisme. Vous critiquez le texte, estimant qu’il ne garantit pas le respect des droits des citoyens. En retour, des élus vous accusent de faire le jeu des terroristes. Comment l’avez-vous vécu ?
Le PNR est un dossier à la fois extrêmement complexe sur le contenu et très délicat sur le plan politique. La combinaison n’est pas facile. J’ai des collègues qui me disent qu’ils sont d’accord avec moi, mais qu’ils ne peuvent pas me soutenir à cause de leur opinion publique.
Je n’ai jamais dit que j’étais contre la collecte des données et le PNR, mais je crois que mon devoir est de poser des questions, de ne pas avaler tout ce que la Commission européenne ou les États demandent, sinon, je peux prendre ma retraite.
Toutes mes propositions pour modifier le projet sont fondées sur des faits. Il ne s’agit pas d’une position politique.
Par exemple, la période de rétention proposée est de cinq ans. C’est un chiffre arbitraire, le résultat d’un marchandage politique. La jurisprudence de la Cour européenne de Justice impose de fonder la période de rétention sur des critères objectifs. Ce n’est pas moi qui l’ai inventé. Il faut prouver que c’est nécessaire, que c’est proportionné.
Vos argumentaires n’empêchent pourtant pas les ministres d’obtenir ce qu’ils veulent face au Parlement…
Le Parti populaire européen (PPE) accepte tout, la droite eurosceptique (ECR) aussi, et quant aux socialistes, ils ont fini par céder.
Nous allons répéter l’erreur commise avec la directive sur la rétention des données. Elle a été approuvée en 2006 et invalidée huit ans après la justice européenne.
Mon groupe a pourtant proposé des choses, pour répondre à l’urgence décrite par les ministres. Nous souhaitions faire un règlement au lieu d’une directive, car un règlement s’applique immédiatement après l’adoption et aurait pu entrer en vigueur dès mars 2016.
Pourtant, les États continuent de préférer une directive, qui va mettre deux ans à rentrer en application à cause du temps de transposition dans le droit national.
Nous avons aussi demandé un partage obligatoire des informations entre les pays, sans succès.
J’en ai marre que l’on exige du Parlement européen de signer des chèques en blanc pour de nouvelles mesures sécuritaires, alors que les gouvernements refusent catégoriquement d’échanger les données, ou simplement quand ils ont envie.
Le plus grand défi est de continuer la bataille, de ne pas abandonner, de ne pas devenir cynique. C’est difficile pour l’ADLE de renoncer à ses principes, mais, en même temps, sans majorité, nous ne pouvons rien achever.
Lors des élections européennes, votre parti a réussi à déjouer les prédictions, et à obtenir un meilleur score que la formation de Geert Wilers, l’équivalent néerlandais du FN. En France, la classe politique semble incapable d’endiguer la montée de l’extrême droite. Que diriez-vous à vos homologues français ?
Si vous faites une copie faible de l’original, vous avez tort. L’original sera toujours plus convaincant.
Chercher comme les socialistes à donner la même réponse que Mme Le Pen, ce n’est pas convaincant. Les gens ne sont pas bêtes.
Au contraire, dans cette période difficile, il faut donner confiance aux citoyens, il faut être honnête avec eux. Je ne fais pas de la politique pour être populaire, mais atteindre des objectifs, et au nom de mes principes. Il faut avoir le courage d’aller à contresens.
Je comprends que les gens aient peur, car nous vivons des changements énormes dans le monde que notre pouvoir sur la scène internationale est faible. Il y a de nouveaux acteurs, comme la Chine qui est devenue une force politique et économique. L’hégémonie du monde occidental est terminée. C’était le monde d’hier. Et la réponse n’est pas le retour en arrière, mais l’adaptation, pour trouver de nouvelles réponses.
Dans ce contexte, seriez-vous tentée par un quatrième mandat ?
C’est trop loin pour le moment. Il me reste encore trois ans et demi.
Tout dépend si l’UE survit. La situation actuelle est extrêmement inquiétante. Il est choquant de constater que les dirigeants n’ont pas le sentiment de l’urgence. Ils ne prennent pas leurs responsabilités.