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état d'urgence, Conseil constitutionnel, droits de la défense, Libertés, Ligue des droits de l'homme

La proclamation de l’état d’urgence, à la suite des attentats, a engendré une accélération du temps juridique. Après l’adoption, en trois jours entre le 17 et le 20 novembre, de la loi de prolongation, un nouveau record vient d’être battu, celui de l’examen d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC).
Saisis le 11 décembre par le Conseil d’État, d’une QPC relative aux assignations à résidence de militants écologistes, les Sages ont tenu l’audience de plaidoiries le 17 décembre et rendront leur décision le 22. Le délai moyen d’examen d’une QPC est de deux mois et demi.
Une urgence politique
La célérité inhabituelle du Conseil constitutionnel peut s’expliquer par plusieurs facteurs. Le retentissement médiatique des perquisitions et des assignations à résidence, évoqué à plusieurs reprises par les avocats lors de leurs plaidoiries, exige une réponse rapide.
Maître Fabrice Spinosi, avocat de la Ligue des droits de l’Homme, a lancé un avertissement :
« La menace terroriste va durer, il faut donc fixer un cadre pour éviter que ce régime d’exception ne devienne le droit commun. Vous êtes la dernière digue », a-t-il lancé aux Sages.
D’autres facteurs, plus conjoncturels, ont pu également pousser Jean-Louis Debré à accélérer le rythme. Son mandat de président du Conseil constitutionnel se termine en février 2016, et il peut souhaiter « soigner sa sortie », explique un observateur de la vie politique. La petite phrase de Manuel Valls, lors des débats parlementaires, sur le « risque » qu’il peut y avoir à saisir le Conseil constitutionnel sur l’état d’urgence « a pu irriter », poursuit-il.
Le choix de la date de la décision n’a rien d’anodin. En effet, le gouvernement doit présenter son projet d’inscription de l’état d’urgence dans le Constitution, en conseil des ministres, le 23 décembre.
La décision et son commentaire officiel comporteront sans doute des messages en direction des parlementaires et du gouvernement, décrypte un haut fonctionnaire parlementaire.
Atteinte aux droits de la défense
Les avocats ne se contentent pas de critiquer l’utilisation des pouvoirs exceptionnels pour autre chose que la lutte contre le terrorisme, mais attaquent le dispositif dans son ensemble. Ils invoquent en particulier l’article 16 de la déclaration des droits de l’Homme, sur le droit à un procès équitable.
Les récits à la barre sont édifiants et suscitent une écoute attentive des Sages. Le cas de Julien et JoëlDomenjoud est longuement évoqué comme symptomatique des dérives et de l’incapacité de la juridiction administrative à traiter ces dossiers sensibles.
Ces deux frères, activistes de la mouvance écologiste radicale, ont fait l’objet d’une mesure d’assignation à domicile qu’ils ont immédiatement attaquée devant le tribunal dont ils dépendent.
Le recours de Julien, examiné par le tribunal administratif de Melun, aboutira au dépôt de la QPC examinée par le Conseil constitutionnel. En revanche, le tribunal de Cergy Pontoise refusera d’examiner le recours de Joël, qui n’aura donc pas eu la possibilité d’être entendu par la justice, et d’avoir accès au dossier.
Dans la main de l’État
Leurs avocats ne découvrent les griefs retenus contre leurs clients qu’au moment de l’audience, sans avoir eu le temps de préparer une quelconque défense. C’est le cas de Maître Raphaël Kempf, avocat de Julien Domenjoud, qui s’est rendu compte que l’assignation à résidence repose uniquement sur une « note blanche » des services de renseignement, ne comportant pas le nom de son auteur.
« Comment voulez-vous réfuter le contenu d’une note anonyme qui vous prête des intentions, sans étayer l’accusation du moindre fait. C’est une preuve impossible. »
Plusieurs avocats soulignent que le contenu des notes blanches utilisées se retrouve en partie dans les arrêtés d’assignation à domicile, validés par les juges administratifs. Une décision qui inquiète Marie-Laure Dosé, une autre avocate des requérants :
« Que se passe-t-il si un agent de renseignement produit un document faux, et que sur cette seule base, anonyme et non vérifiée, une personne se retrouve privée de liberté avec l’accord du juge ? » interroge-t-elle.
Retour possible au législateur
Les avocats ont également souligné l’absence d’encadrement, par la loi, des pouvoirs donnés à l’exécutif. Le législateur n’aurait pas été au bout de sa mission en votant une loi incomplète. Ce reproche dit « d’incompétence négative » est à l’origine de censures constitutionnelles, qui obligent le gouvernement à repasser devant les assemblées.
Selon Maître Spinosi, interrogé par Contexte à la sortie de l’audience, le Conseil pourrait prononcer une réserve d’interprétation, voire une censure. Mais, dans ce cas, son effet serait probablement différé dans le temps, afin de préserver les procédures engagées et permettre au gouvernement d’adapter la loi aux exigences des Sages.