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Vincent Collen
A quelques mois du référendum sur l’Union, le sentiment anti-européen est plus vivace que jamais outre-Manche. Il se nourrit des difficultés économiques et des craintes engendrées par l’immigration. Mais il est aussi profondément ancré dans une population qui se sent avant tout « britannique ».
En annonçant un référendum sur l’Europe il y a trois ans, David Cameron espérait mettre fin, au moins temporairement, à un débat qui taraude le Royaume-Uni depuis des décennies. Au fond, le Premier ministre espère que les Britanniques choisiront de rester membres de l’Union. Mais l’issue du vote paraît incertaine aujourd’hui, les sondages dépeignent un peuple profondément divisé sur la question. Quarante-deux ans après leur entrée dans l’Europe, les Britanniques s’interrogent toujours.
A quelques mois du scrutin – il devrait avoir lieu en juin –, les universitaires et les sondeurs se penchent à nouveau sur les racines de cette méfiance, une constante dans l’opinion publique. Qui sont les eurosceptiques ? En gros, des Britanniques plutôt âgés, peu diplômés et appartenant aux catégories socioprofessionnelles les moins favorisées. Si l’on en croit les sondages, 63 % des électeurs âgés de plus de 55 ans et membres des trois catégories sociales les moins favorisées (sur six) s’apprêtent à voter pour le « Brexit » (pour « British exit »). A l’inverse, 58 % des 18-54 ans appartenant aux trois catégories supérieures affirment qu’ils voteront pour le maintien du Royaume-Uni dans l’Union.
Les électeurs conservateurs sont plus susceptibles d’être eurosceptiques – c’est dû en partie au fait qu’ils sont plus âgés que la moyenne – mais les europhobes sont aussi nombreux parmi les sympathisants travaillistes – cela recoupe notamment la composition sociale de leur base, plus populaire. Les divisions sont également régionales. Londres, l’Ecosse, le pays de Galles et l’Irlande du Nord sont majoritairement favorables à l’Union dans la perspective du référendum. Le reste du pays est plus incertain. « Le cœur de l’euroscepticisme, c’est l’Angleterre en dehors de Londres », relève John Curtice, politologue à l’université de Strathclyde.
Comme dans beaucoup d’autres pays, le sentiment anti-européen fait mouche parmi ceux dont la situation économique est difficile et qui craignent pour leur emploi. Le vote europhobe fait alors figure de vote protestataire, comme pour le Front national en France par exemple. D’autres traits sont plus caractéristiques de la Grande-Bretagne. Les Britanniques qui sont hostiles à l’Europe se disent insatisfaits de la façon dont les institutions européennes fonctionnent. Ils critiquent un manque de démocratie. David Cameron tente de répondre à cette inquiétude en demandant un pouvoir accru des parlements nationaux sur la réglementation émanant de Bruxelles.
Plus que dans d’autres pays, l’Europe, pour ces électeurs, est synonyme d’immigration. Dès 2004, le Royaume-Uni a ouvert grand ses frontières aux travailleurs des nouveaux Etats membres d’Europe de l’Est, contrairement à la plupart des autres pays qui ont demandé une période de transition. Résultat, l’immigration en provenance de Pologne, de Slovaquie ou des pays baltes a explosé, tirée par une économie en forte croissance et un marché de l’emploi particulièrement flexible. Parmi les classes défavorisées, certains y ont vu une menace pour leur emploi, une peur sur laquelle le parti souverainiste Ukip a bâti son succès. D’autres, à gauche comme à droite, redoutent une pression accrue sur les écoles et le système de santé, déjà mis sous tension par l’austérité budgétaire.
L’immigration européenne n’a fait que croître ces dernières années, poussée par la crise dans la zone euro – les immigrés espagnols ou italiens sont plus nombreux – et l’ouverture des frontières aux Roumains et aux Bulgares. L’immigration est d’ailleurs devenue la première préoccupation des Britanniques cette année, pour la première fois depuis que l’institut de sondages Ipsos Mori leur pose la question. S’y ajoute, depuis peu, un réflexe sécuritaire, encore renforcé après les attentats de Paris.
Ces inquiétudes n’ont fait que consolider un euroscepticisme profondément ancré dans les mentalités. Quand on leur demande s’ils se définissent comme Britanniques, Européens, ou les deux, 64 % d’entre eux répondent qu’ils se sentent « uniquement Britanniques ». Cette proportion n’est que de 36 % chez les Français et de 25 % chez les Allemands, selon l’enquête Eurobarometer. « Les Britanniques sont instinctivement méfiants vis-à-vis de l’Europe », explique Matthew Goodwin, professeur de sciences politiques à l’université du Kent. Victorieuse en 1945, la Grande-Bretagne a été moins sensible aux arguments des pays continentaux sur la nécessité de s’unir pour garantir la paix. « Les Britanniques sont pragmatiques quand il s’agit de l’Europe, poursuit le chercheur. Ils veulent profiter de ses bienfaits mais ils sont aussi profondément réticents à une intégration plus poussée. Ils s’inquiètent de tout ce qui peut éroder leur souveraineté nationale et leur mode de vie. »
Depuis l’entrée de la Grande-Bretagne dans l’Union en 1973, l’opinion a été relativement volatile sur la question cependant. Des crises comme la vache folle à la fin des années 1990 ou celle des réfugiés cette année se sont traduites par des pics d’hostilité vis-à-vis de l’Europe. A l’inverse, la fin des années 1980 et le début des années 1990 étaient une période favorable. « C’est le seul moment où les deux grands partis étaient ouvertement europhiles », explique John Curtice. Depuis la crise de la zone euro et la poussée de l’immigration, l’enthousiasme a fortement reculé. David Cameron s’apprête à interroger le peuple à un moment où l’euroscepticisme est plus vivant que jamais outre-Manche.