Devant le Congrès réuni à Versailles, le président Hollande annonce une prolongation de trois mois de l’état d’urgence, mais aussi l’éventuelle déchéance de nationalité pour les binationaux, la formation d’une garde nationale constituée de réservistes et une réforme constitutionnelle. AFPLe gouvernement présente mercredi 23 décembre son projet de réforme constitutionnelle, qui prévoit l’inscription dans la loi fondamentale de l’état d’urgence – un régime d’exception controversé -, mais ne devrait finalement pas inclure la déchéance de nationalité des binationaux, très décriée à gauche. Le président de la République avait annoncé les deux mesures devant le Parlement, réuni en congrès à Versailles le 16 novembre, trois jours après les attentats qui ont fait 130 morts à Paris et Saint-Denis.
D’abord accueillis sans susciter de remous, les deux volets de la réforme font aujourd’hui débat, et l’exécutif n’a pas encore rendu publics ses ultimes arbitrages. Emprunté à la droite, le souhait du gouvernement d’inscrire dans la constitution la possibilité de déchoir les binationaux condamnés pour acte de terrorisme a suscité un concert de critiques, du premier secrétaire du PS Jean-Christophe Cambadélis à la maire de Paris Anne Hidalgo en passant par des députés PS, frondeurs ou pas.
La mesure, qui doit permettre d’étendre aux binationaux nés Français les déchéances de nationalité déjà prononcés à l’encontre des Français par acquisition ayant un autre passeport, instaurerait selon ses détracteurs une discrimination entre les citoyens. « C’est un message extrêmement inquiétant envoyé aux trois millions et demi de Français binationaux », a déploré auprès de l’AFP le député PS frondeur Christian Paul. L’exécutif devrait « vraisemblablement » y renoncer, selon un ministre interrogé par l’AFP lundi.
Une mesure « pas efficace »
Vendredi, l’exécutif avait donné des signes d’un probable recul. Le Premier ministre Manuel Valls avait souligné le caractère « symbolique » de la mesure, qui n’est « pas une arme pour lutter contre le terrorisme ». Or les mesures prises pour lutter contre le terrorisme doivent être « efficaces », avait-il souligné. Interrogé à Bruxelles sur l’opportunité de la mesure, le président de la République n’avait pas répondu, mais rappelé que le « seul objet » du projet de révision était « de pouvoir être efficace dans la lutte contre le terrorisme ».
Consulté, le Conseil d’Etat a émis un avis favorable sur cette disposition, tout en soulignant qu’elle aurait une « portée pratique limitée », car elle aurait notamment « peu d’effet dissuasif sur les personnes décidées à commettre » des attentats. De manière plus discrète, l’inscription dans la Constitution de l’état d’urgence fait elle aussi débat.
« Je pense que cela ne sert à rien », a déclaré dimanche la députée EELV Cécile Duflot, rejoignant les critiques du Front de gauche. Sur le versant opposé, le député Les Républicains Guillaume Larrivé, ancien conseiller juridique de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République, a évoqué dans Le Monde une « révision en trompe-l’oeil », relevant « au mieux de l’esthétisme juridique ».
Le Conseil constitutionnel doit trancher
La mesure vise cette fois à donner un socle juridique incontestable aux dispositions dérogatoires permises par la loi sur l’état d’urgence de 1955, révisée le 20 novembre. Le Premier ministre Manuel Valls avait lui-même reconnu devant les sénateurs la « fragilité constitutionnelle » de la loi, et exprimé sa réticence à saisir au préalable le Conseil constitutionnel sur ce texte.
Mardi, le Conseil constitutionnel devrait néanmoins se prononcer, après avoir été saisi d’une Question prioritaire de constitutionnalité (QPC) par sept militants écologistes assignés à résidence pendant la conférence sur le climat COP21. Sa décision, en démontrant l’inconstitutionnalité de certaines dispositions, pourrait conforter les tenants d’une modification de la loi fondamentale. Elle pourrait aussi permettre à certains de dire que « la loi a été trop loin, qu’il ne faut pas changer la Constitution pour faire rentrer de force des mesures contraires à des principes essentiels », estime Me Patrice Spinosi, défenseur des plaignants. Elle pourrait aussi selon l’avocat inciter à une « réécriture de la loi », qui permet aujourd’hui l’assignation à résidence de personnes simplement soupçonnées de constituer « une menace pour la sécurité et l’ordre public » – sans lien avec le « terrorisme« , donc.
Le Conseil d’Etat s’est de son côté déjà déclaré contre le dispositif de sortie progressive (« en sifflet », dit le gouvernement) envisagé par l’exécutif. Celui-ci prévoit que les mesures prises sous le régime de l’état d’urgence, notamment les assignations à résidence d’individus considérés comme dangereux, puissent durer jusqu’à six mois supplémentaires.