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Roger Allers et Salma Hayek transforment le populaire «Prophète» de Khalil Gibran en pot-pourri d’animation tout public
Fatigués des dessins animés trop calibrés? Essayez donc ce film collectif qui tente d’adapter une de ces oeuvres littéraires réputées inadaptables: Le Prophète, du poète libano-américain Khalil Gibran (1883-1931). Aux commandes, l’Américain Roger Allers, un ancien de chez Disney, coauteur du magnifique Roi Lion (1994) et d’un médiocre Les Rebelles de la forêt (2006), et la Mexicaine Salma Hayek-Pinault, productrice qui s’est arrogée l’une des voix principales. Mais aussi huit autres animateurs réputés chargés de mettre en images les différents poèmes inclus dans le récit principal. D’où un véritable feu d’artifice graphique qui vaut déjà à lui seul le déplacement.
Un livre best-seller
Publié en 1923 et devenu aussitôt un best-seller, Le Prophète met en scène un sage reconnu qui, sur le point de quitter une île où il a vécu pour rentrer chez lui, dispense ses vues sur la condition humaine aux gens venus lui dire adieu. Pas de quoi réaliser un film familial? Qu’à cela ne tienne, les auteurs ont extrapolé en s’inspirant du Liban d’alors, sous l’Empire ottoman, faisant de Mustafa un poète considéré comme une menace pour le régime et mené au port sous haute surveillance. Ajoutez une fillette de huit ans, Almitra, et sa mère Kamila, chargée du ménage pendant qu’il était assigné à résidence, plus une mouette rieuse, un jeune garde hésitant, un gros sergent et quelques rencontres en chemin, et vous tenez un récit cadre sur lequel accrocher quelques poèmes illustrés (huit sur les vingt-six du livre).
Mystique ou niais?
Redécouvert par les hippies des années 1960-70 puis adopté par la nébuleuse new age, Le Prophète dispense conseils, consolation et surtout un mysticisme vague, mi-oriental mi-occidental, capable de parler à tous les orphelins de religion. Tandis que les fans l’ont érigé en vade-mecum universel, les médisants n’y voient que niaiseries, le triste destin de Gibran à l’appui. Pour ne jamais l’avoir lu, avouons que ses sagesses sont en effet largement partageables et plutôt joliment balancées – quoique inaccessibles avant l’âge de 10 ans.
Une animation esthétique
Côté visuel, au dessin très «grand public» et anglo-saxon d’Allers, soutenu par les frères Paul et Gaëtan Brizzi (Astérix et la surprise de César, qui signent aussi le segment sur la mort) répond l’esthétique très libre des autres, parmi lesquels ont reconnaît aisément les styles de l’Irlandais Tomm Moore (Le Chant de la mer, sur l’amour), du Français Joann Sfar (Le Chat du rabbin, sur le mariage), de l’Indienne Nina Paley (Sita chante le blues, sur les enfants) et de l’Américain Bill Plympton (Hair High, sur le manger et le boire). Mais la doyenne Joan Gratz (sur la travail) et les nouveaux venus Michal Socha (sur la liberté) et Mohammed Saeed Harib (sur le bien et le mal), ne sont pas en reste. Qu’il s’agisse de ligne claire ou d’une esthétique plus proche de la peinture, le vrai plaisir graphique est au rendez-vous.
Mustafa va-t-il vraiment pouvoir repartir ou bien le pacha lui réserve-t-il un autre sort? Le suspense est tout relatif mais la fin plutôt bien trouvée, qui donne plus de poids à ses belles paroles, récitées avec conviction et fluidité par le chanteur anglo-libanais Mika et appuyées par une musique inspirée du compositeur franco-libanais Gabriel Yared. A se demander si Le Prophète pouvait espérer meilleur sort que ce chatoyant salmigondis mondo-libanais.
**Le Prophète (The Prophet), film d’animation de Roger Allers (Canada – France – Etats-Unis – Liban – Qatar, 2015), avec les voix de : (v.o.) Liam Neeson, Salma Hayek, John Krasinski, Alfred Molina, Frank Langella, Quvenzhané Wallis ; (v.f.) Mika, Salma Hayek, Nicolas Duvauchelle. 1h24