Étiquettes

,

Scarlett HADDAD

Si l’année 2015 a été marquée par une série de remous qui n’ont abouti qu’à faire passer le temps en évitant de donner l’impression que le dossier présidentiel est oublié, 2016 pourrait au contraire connaître des développements plus concrets. Une source proche du 8 Mars estime que la tentative du courant du Futur, inspirée par les Occidentaux, et en particulier les Américains, ainsi que par les Saoudiens, de pousser à l’élection rapide de Sleiman Frangié à la présidence, tout en maintenant intact le système de partage des parts, a échoué. Le général Michel Aoun et le 8 Mars, en particulier le Hezbollah, ont donc commencé par flairer le piège, avant de le mettre en échec, en réclamant un « accord global », selon les propres termes de Hassan Nasrallah.

Pour la source proche du 8 Mars, il est clair qu’il y avait une anomalie dans le fait que ce soit le courant du Futur qui présente la candidature de Frangié, sachant que le chef des Marada est l’un des plus loyaux membres du camp du 8 Mars. Après une période de flottement, de doute et même de confusion interne, le camp s’est ressaisi. Même s’il y a encore des critiques réciproques échangées entre les Marada et le CPL, les deux formations sont d’accord sur la nécessité de ne pas se laisser séduire par la forme pour aller au fond du problème. Et le fond du problème, c’est justement le principe de partage du pouvoir qui gangrène les institutions libanaises et fait de chaque communauté (ou de ceux qui la représentent) une autorité plus puissante que l’État. Les soulèvements populaires étant inefficaces au Liban, en raison du système confessionnel et communautaire de plus en plus rigide (les derniers mouvements de la société civile suite à l’affaire des déchets ont malheureusement montré leurs limites), seule une loi électorale équitable et équilibrée peut donc ouvrir la voie à un changement véritable.

Dans ses discussions avec Saad Hariri, le chef des Marada s’était d’ailleurs bien gardé de prendre des engagements sur cette question, même s’il a des préférences claires pour la loi actuelle (1960 améliorée). Sleiman Frangié, qui est en contact permanent avec ses alliés du 8 Mars, sait parfaitement que l’adoption d’une nouvelle loi électorale est une question cruciale qui porte sur le nouveau rapport de forces au Liban pour les quatre prochaines années. Elle ne peut donc pas faire l’objet d’un accord bilatéral entre un candidat présidentiel et un Premier ministre supposé, même si pour lui, le choix du président et du Premier ministre est déjà le début d’une entente sur d’autres questions plus fondamentales, comme par exemple la déclaration ministérielle, la position de l’État libanais par rapport à la guerre en Syrie, les armes du Hezbollah, etc.

Au cours des discussions entre les pôles du 8 Mars, il est devenu clair qu’il ne faut surtout pas s’emballer, parce que le courant du Futur, et derrière lui certaines instances occidentales et régionales, ont choisi d’adopter la candidature Frangié. Au contraire, il faut prendre son temps. Dans la dynamique actuelle des développements dans la région, précise la source du 8 Mars, ce ne sont pas les Saoudiens, ni même les Américains, qui peuvent imposer une solution au Liban, à leurs conditions, mais une entente entre tous les partenaires régionaux et internationaux, dont la Russie et l’Iran, sachant que le Hezbollah est devenu un acteur régional à part entière dont l’opinion est écoutée.

Ce qu’on appelle désormais « l’option Frangié » est donc arrivée trop tôt, selon cette source du 8 Mars. Cette option n’a pas disparu de la table des négociations, mais elle a besoin d’être un peu mieux approfondie à la lumière des développements régionaux.

Frangié ou non, ce qui compte, c’est de relancer la dynamique politique libanaise à travers une nouvelle loi électorale qui assurerait une plus grande représentativité populaire. Or, jusqu’à présent, le principal souci des parrains locaux et étrangers de l’option Frangié n’ont qu’un objectif en tête, maintenir le système et les rapports de forces politiques actuels, et surtout garder la structure étatique fragile pour préserver le pouvoir des chefs de communauté. Or, toujours selon la source du 8 Mars précitée, c’est là que réside le danger pour le Liban. Car si, comme les indices le laissent croire, la Syrie est appelée à connaître une sortie de crise dans les deux ans qui viennent et si Daech va probablement perdre au cours de l’année 2016 une grande partie du territoire qu’il contrôle en Syrie et en Irak, ses combattants ne pourront se réfugier qu’au Liban, terre d’accueil par excellence, où l’État est suffisamment faible pour leur permettre de s’infiltrer dans les camps de réfugiés. S’il n’y a pas au Liban un pouvoir central fort et si le confessionnalisme continue à tenir lieu d’appartenance nationale, il est fort probable que le pays devra affronter de nouveaux problèmes sécuritaires et politiques. Une loi électorale équitable, des nominations militaires et administratives basées sur la compétence pourraient constituer un solide rempart face à la menace confessionnelle et à la prolifération éventuelle des courants extrémistes, notamment dans certains milieux sunnites. Les Libanais sont donc appelés à la vigilance. Une solution hâtive qui ne règlerait pas les problèmes de fond ne ferait que dissimuler provisoirement les menaces qui pèsent sur le pays.

http://www.lorientlejour.com