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La nostalgie Jacques Chirac
La dernière apparition officielle du président Chirac. Au musée du Quai-Branly, pour la remise du prix de sa Fondation, en présence du président François Hollande, le 21 novembre 2014. Une semaine plus tard, il fêtera ses 82 ans. © Patrick Kovarik/DR
Le 22 avril 2015 | Mise à jour le 27 avril 2015
Par Jean-Marie Rouart, de l’Académie Française

Il est le seul président français à avoir rassemblé plus de 82% des électeurs. Les circonstances étaient un peu particulières, il est vrai… contre l’extrême droite en 2002. Jacques Chirac représentait la démocratie. N’empêche. Jamais un président à la retraite n’a bénéficié d’une telle popularité.

Vingt ans, c’est le temps dont a besoin la nostalgie pour diffuser en nous ses ensorcelants poisons ; pour réintroduire, par une bien curieuse alchimie, de l’espérance dans le passé et du rêve dans les cendres de l’histoire consumée. Le voilà donc, ce Jacques Chirac sortant presque indemne de nos souvenirs : sympathique, souriant de ses trente-deux dents de chaleureux squale, fraternel, distribuant les poignées de main, dilapidant les tapes dans le dos, réconfortant les vieux, flattant les jeunes, une véritable machine à séduire telle qu’en enfantaient la IIIe et la IVe République mais dans une version nouvelle de jeune premier. Le verbe haut et entraînant, la démarche souple, le pas rapide, le regard franc et dominateur, une extraordinaire aptitude à tailler une bavette sur le zinc et à avaler des petits blancs secs et, pour cet exercice dans lequel il excelle, un verbe inoxydable, un estomac galvanisé et un foie en acier chromé.

Personne comme lui n’a ravalé l’énarque, étranglé le technocrate pour renaître sous les traits d’un tribun de la plèbe, mouillant sa chemise à la tribune des grands-messes du RPR, allant à la pêche aux électeurs et n’ayant pas son pareil pour débusquer le goujon rétif ou traquer le brochet hostile.

Le beau gosse a plu aux femmes, le bon vivant aux hommes

Venu de la crème de l’énarchie, il a voulu faire peuple et il y a réussi. Comme saint Paul ayant sa révélation sur le chemin de Damas, il s’est converti sur les chemins vicinaux de la Corrèze. Saint Paul y a rencontré Dieu, Chirac le populo. Le théâtre électoral était fait pour lui. Il s’y est épanoui. Le beau gosse plaisait aux femmes, le bon vivant aux hommes, le jeune arriviste aux vieux matous hors d’âge, caciques du suffrage universel qui, à travers lui, croyaient retrouver leurs dents longues et leurs vertes années. Et avec cela une rage de vaincre, une furia de conquêtes, une boulimie de circonscriptions et une fièvre de pouvoir qui laissaient tétanisés ses adversaires. Dans son ascension, ne s’embarrassant de rien, ne se laissant freiner ni par un programme, ni par des promesses, des convictions ou des amis.

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Mars 1975. Jacques Chriac est Premier ministre. Il aime déjà plaisanter avec les journalistes. Getty

Acharné vers un seul et unique but : le pouvoir. Être élu président de la République. Certes un beau projet et une belle ambition. Mais pour y faire quoi ? Ça, c’est une autre histoire, que les ambitieux remettent souvent au lendemain, voire au surlendemain, quand ça n’est pas aux calendes grecques.

Mais les Français, et en cela ils ont des traits féminins, ne détestent pas les beaux garçons, beaux parleurs qui enchantent l’avenir, et leur font de ces promesses qui rendent les fiançailles une époque irréelle et magique. Après viennent les déceptions, les désillusions et les divorces. Les Français aiment qu’on leur donne des émotions. Et Chirac n’a pas été avare. Ils lui en sont reconnaissants. Aujourd’hui, même si l’âge et la maladie l’ont contraint à n’être plus que l’ombre de lui-même – quel plus cruel châtiment pour un homme tout en énergie d’être réduit à une quasi-impotence –, il demeure éclairé par un halo de sympathie, d’affection où beaucoup de choses se mêlent : la jeunesse enfuie, le temps qui passe et redore les blasons les plus ternis. Mais aussi la nostalgie d’une autre façon de faire de la politique. De l’incarner de manière à la fois souveraine et humaine.

C’est la politique au Guronsan, le marathonien de Bruxelles

Un peu de psychanalyse. Les Français, n’en déplaise à Manuel Valls, sont certes des républicains mais, dans le tréfonds d’eux-mêmes, ils regrettent la monarchie. Cette monarchie que les premiers révolutionnaires ne songeaient nullement, à leurs débuts, à abattre car elle mettait le roi, l’Etat, au-dessus des partis, préservé des intérêts et des factions. Le monarque était le point de rassemblement des divisions françaises. C’est le génie du général de Gaulle d’avoir répondu à ces deux aspirations qui ne sont contradictoires qu’en apparence en ressuscitant avec la constitution de la Ve République une monarchie dont le monarque est élu au suffrage universel. Et Chirac a suivi la voie dynastique tracée par de Gaulle. Pompidou, Giscard d’Estaing, Mitterrand, tous ont eu le style gaullien pour modèle : ils se sont glissés avec plus ou moins de bonheur dans l’uniforme de leur grand prédécesseur.

Chirac s’est moulé assez bien, parfois très bien, dans le rôle international, de manière plus hésitante et cantonale en politique intérieure. Le surmoi « l’Etat, c’est moi » s’est malgré tout prolongé avec lui : hauteur dans la fonction, solennité dans les formes, componction. Il a poursuivi la liturgie faite d’austérité, de vocation sacerdotale, d’onction religieuse, même si personne n’était dupe de ce caractère formel. Tant qu’il n’y a pas de scandale, l’opinion préfère ne pas voir ce qui se passe dans les alcôves élyséennes. Bernadette Chirac jouait également le jeu, ajoutant dans un couple aux mâchoires serrées et aux relations barbelées un parfum un rien provincial de notable chic, de dignité raide, de catholicisme strict, de stoïcisme conjugal et de f el dans le bénitier. C’est ainsi que, pendant trente ans, Chirac a occupé le terrain politique. Il l’a labouré, ensemencé, récolté, levant ses grands bras de moissonneuse-batteuse pour engranger les suffrages des électeurs. Il s’est ainsi construit une image de Français qui plaît aux Français par son énergie d’abord. Qui n’a-t-il pas fatigué ? Une énergie presque pathologique qui ne laisse en repos ni ses jambes qui arpentent les fiefs électoraux, ni des discours à la rhétorique simplette qui brassent l’air comme des moulins à vent. C’est la politique au Guronsan, le marathonien de Bruxelles, l’athlète capable de supporter sans dyspepsie ni fatigue sept heures chrono de bousculades au Salon de l’agriculture où l’ami du pis des vaches, le soupirant énamouré des laitières de Salers, le glouton du pied de cochon sauce ravigote, fait merveille.

Les pires détracteurs de Chirac admettent son courage et sa fermeté en politique extérieure

Ce grand vivant, ravageur de brasseries qui a épuisé son entourage et ses conseillers, a fini par parvenir au but suprême qu’il s’était fixé. C’est peut-être là qu’il a atteint sa limite. Certains paraphrasant à son endroit la formule fameuse du général de Gaulle lui ont reproché d’« avoir franchi le Rubicon pour y pêcher à la ligne ». Les Français semblent avoir oublié : l’oeuvre politique finalement très mince, le peu de cohérence de la vision européenne (du fol appel de Cochin qui stigmatisait en Giscard « le parti de l’étranger » au grand lâchage du traité de Nice), la flexibilité de sa ligne politique qui rivalise dans le flou avec les palinodies d’Edgar Faure, le Paganini de l’opportunisme, le champion toutes catégories du retournement de veste : à droite toute avec Pompidou, sciant la branche progressiste de Chaban- Delmas pour faire élire Giscard d’Estaing, puis le lâchant à son tour pour apporter son soutien à François Mitterrand ; enfin dézinguant Sarkozy par un soutien affiché à Hollande. Dans un film policier, on appelle ce type d’homme qui accumule les cadavres un tueur en série ; dans la vie publique, où l’on sait manier l’euphémisme, cela devient un habile politicien. Autres critiques : celles des gaullistes qui ont eu du mal à avaler l’abandon du septennat pour le quinquennat ainsi que la responsabilité de l’Etat français sous l’Occupation, touchant ainsi à la clé de voûte de la doctrine gaulliste. C’est un peu comme si le pape avait remis en cause la sainte Trinité ou la Résurrection.

Comme tout cela est loin et semble oublié, enterré comme Jean-Claude Méry et sa cassette, et le procès des emplois fictifs qui a valu à Alain Juppé, bouc émissaire résigné, une année sabbatique au Canada. En revanche, les pires détracteurs de Chirac admettent son courage et sa fermeté en politique extérieure, que ce soit vis-à-vis des Américains lors de l’invasion de l’Irak ou dans le conflit israélo-palestinien. Ce que les Français ont retenu de Chirac, c’est moins la politique incertaine que le style classique. Ils se montrent au fond plus sensibles à l’allure qu’à la morale. Ses successeurs ont montré, eux, une très grande – peut-être trop grande – décrispation en matière d’exercice du pouvoir. Faire des journées portes ouvertes à l’Elysée, passer son temps à Villacoublay pour accueillir les otages, jouer tantôt le rôle de Mère Teresa tantôt celui d’un grand ordonnateur des pompes funèbres, montrer aux enfants des écoles comment on appuie sur le bouton nucléaire – on n’en est pas là, mais on y arrivera – rend le pouvoir moins humain et sympathique qu’il ne le banalise. Le président copain, dont la vie privée est souvent agitée, tourneboulée, qui court derrière le journal de 20 heures, qui doit affronter des primaires dans un combat douteux, c’est peut-être une nécessité de notre temps, mais cela donne par contraste au souvenir de Chirac une image de majesté, de dignité, de hauteur, que les Français, au fond mystiques du pouvoir qu’ils critiquent tant, regrettent un peu. C’était il y a vingt ans. On dirait qu’un siècle a passé.

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 Jacques Chirac, un homme politique d’exception

Aucun homme politique français encore en vie ne peut se vanter d’une telle carrière. Et pourtant, il se rêvait archéologue. En 42 ans, Jacques Chirac a presque tout connu. Chaque poste, chaque difficulté… Que ce soit sous De Gaulle, Pompidou, Giscard d’Estaing ou encore son grand rival Mitterrand. Jacques Chirac a été sept fois député de Corrèze, trois fois maire de Paris, deux fois Premier ministre, et a même connu la cohabitation. Il a ensuite été élu par deux fois à la présidence de la République. Alors en pleine « chiracomania », il quitte l’Elysée en 2007 pour laisser place à Nicolas Sarkozy.

Puis, avec les années, l’homme s’est fait plus discret. Sa dernière apparition à une cérémonie officielle remonte au 21 novembre 2014, il y a plus d’un an. Il avait assisté à la remise annuelle du prix de sa fondation, au cours de laquelle le président François Hollande lui avait rendu un hommage appuyé. Diminué par la maladie, la main sur l’épaule de son garde du corps, M. Chirac était arrivé sous les applaudissements de la salle.

L’ancien chef d’état a fêté ses 83 ans le 29 novembre. A l’occasion du documentaire diffusé lundi soir sur France 3 intitulé « Chirac, la bio », Paris Match vous ouvre ses archives et vous permet de découvrir des photos d’exception retraçant la carrière et la vie de Jacques Chirac.

© Paris Match

Jacques Chirac, 8 ans, joue à la pétanque dans le jardin de la villa de Rayol, près de Toulon Jacques Chirac, 8 ans, joue à la pétanque dans le jardin de la villa de Rayol, près de Toulon

Jacques Chirac, 4 ans, avec son parrain le colonel ValetteJacques Chirac, 4 ans, avec son parrain le colonel Valette

Jacques Chirac, 21 ans, étudiant à Sciences Po, part aux Etats-Unis pour rejoindre la Harvard Business SchoolJacques Chirac, 21 ans, étudiant à Sciences Po, part aux Etats-Unis pour rejoindre la Harvard Business School

Le sous-lieutenant Jacques Chirac défile en tête du 3e peloton du 6e régiment de chasseurs d'AfriqueLe sous-lieutenant Jacques Chirac défile en tête du 3e peloton du 6e régiment de chasseurs d’Afrique

Jacques Chirac, nouveau ministre du Travail, bricole le moteur de sa voiture la Peugeot 403Jacques Chirac, nouveau ministre du Travail, bricole le moteur de sa voiture la Peugeot 403

Samedi 25 mai 1968, le Premier ministre Georges Pompidou lit des papiers entourés de Jacques Chirac et d'Edouard BalladurSamedi 25 mai 1968, le Premier ministre Georges Pompidou lit des papiers entourés de Jacques Chirac et d’Edouard Balladur

Jacques Chirac en visite officielle en Corrèze, juin 1974Jacques Chirac en visite officielle en Corrèze, juin 1974

Portrait de Jacques Chirac, novembre 1976Portrait de Jacques Chirac, novembre 1976

Jacques Chirac en pleine campagne électorale, novembre 1976Jacques Chirac en pleine campagne électorale, novembre 1976

Chirac en pleine préparation avant une réunion à Grenoble, octobre 1977Chirac en pleine préparation avant une réunion à Grenoble, octobre 1977

Jacques Chirac, un homme politique d'exception Jacques Chirac, un homme politique d’exception

Jacques Chirac en pantoufles et masque sur les yeux à bord du Concorde l'emmenant en Nouvelle-CalédonieJacques Chirac en pantoufles et masque sur les yeux à bord du Concorde l’emmenant en Nouvelle-Calédonie

Jacques Chirac avec son épouse et leurs deux filles, Laurence et Claude, dans les jardins de l'Hôtel MatignonJacques Chirac avec son épouse et leurs deux filles, Laurence et Claude, dans les jardins de l’Hôtel Matignon

Jacques Chirac en compagnie du président François Mitterrand et de la reine Elizabeth II en visite officielle, 10 juin 1992Jacques Chirac en compagnie du président François Mitterrand et de la reine Elizabeth II en visite officielle, 10 juin 1992

Après les résultats du 2e tour des élections présidentielles en mai 1995, Jacques Chirac est élu président de la RépubliqueAprès les résultats du 2e tour des élections présidentielles en mai 1995, Jacques Chirac est élu président de la République

La passation de pouvoir entre François Mitterrand et le président élu Jacques Chirac à l'Elysée, mai 1995La passation de pouvoir entre François Mitterrand et le président élu Jacques Chirac à l’Elysée, mai 1995

Jacques Chirac découvre son portrait officiel réalisé par Bettina RheimsJacques Chirac découvre son portrait officiel réalisé par Bettina Rheims

Lors d'un voyage à Shanghai, Jacques Chirac en admiration d'un petit garçon, petit reporter avec son appareil photo, mai 1997Lors d’un voyage à Shanghai, Jacques Chirac en admiration d’un petit garçon, petit reporter avec son appareil photo, mai 1997

Jacques Chirac dans son bureau au premier étage de l'ElyséeJacques Chirac dans son bureau au premier étage de l’Elysée

Dans son bureau, le jour du 2e tour des élections présidentielles de 2002. Jacques Chirac fait alors face à Jean-Marie Le PenDans son bureau, le jour du 2e tour des élections présidentielles de 2002. Jacques Chirac fait alors face à Jean-Marie Le Pen

En octobre 2006, Jacques Chirac fait une étape dans les territoires palestiniens, à Gaza En octobre 2006, Jacques Chirac fait une étape dans les territoires palestiniens, à Gaza

Jacques Chirac et Nelson Mandela se serrent la main à l'Elysée, juillet 2003Jacques Chirac et Nelson Mandela se serrent la main à l’Elysée, juillet 2003

Les Clinton et les Chirac dinent ensemble "Chez l'ami Louis" à Paris,Les Clinton et les Chirac dinent ensemble « Chez l’ami Louis » à Paris,

Les joueurs de l'équipe de France de football fêtent leur victoire à la Coupe du Monde 1998 dans les vestiaires en compagnie de Jacques Chirac Les joueurs de l’équipe de France de football fêtent leur victoire à la Coupe du Monde 1998 dans les vestiaires en compagnie de Jacques Chirac

Jacques Chirac et sa garde rapprochée Jacques Chirac et sa garde rapprochée

Pour le 64e anniversaire de Jacques Chirac, son épouse Bernadette et ses collaborateurs lui ont préparé une surprise en lui offrant une sculpture...Pour le 64e anniversaire de Jacques Chirac, son épouse Bernadette et ses collaborateurs lui ont préparé une surprise en lui offrant une sculpture…

Le président Chirac se promène dans les jardins de l'Elysée avec son petit-fils Martin, 10 ansLe président Chirac se promène dans les jardins de l’Elysée avec son petit-fils Martin, 10 ans

Le président Chirac se promène dans les jardins de l'Elysée avec son petit-fils Martin, 10 ansLe président Chirac se promène dans les jardins de l’Elysée avec son petit-fils Martin, 10 ans

Jacques Chirac en visite à l'exposition en hommage à l'art des Dogon, avril 2011Jacques Chirac en visite à l’exposition en hommage à l’art des Dogon, avril 2011

Jacques Chirac avec sa fille Claude et son épouse Bernadette, novembre 2013Jacques Chirac avec sa fille Claude et son épouse Bernadette, novembre 2013

Jacques Chirac chez son amie Line Renaud avec son épouse Bernadette, juin 2011Jacques Chirac chez son amie Line Renaud avec son épouse Bernadette, juin 2011