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Nous traitons en alliés ceux qui font le jeu de l’ennemi. Nous battons froid ceux qui le combattent. Est-ce l’Occident qui a perdu la raison ?
Dominique Jamet, Journaliste et écrivain

Compliqué, l’Orient ? Mon Dieu, oui ! Mais peut-être pas tant que ça.

Une secte qui s’est proclamée « État islamique », plus connue aujourd’hui – trop connue – sous son acronyme Daech, Al-Qaïda, plus ancien, plus chevronné, mais désormais moins puissant, ainsi qu’un certain nombre de groupes et groupuscules moins illustres mais tout aussi fanatiques, y mènent sur les territoires de la Syrie et de l’Irak des opérations qui sont partie intégrante de la guerre plus générale qu’ils ont déclarée au nom de l’islam sunnite le plus rigoriste et le plus intolérant à toutes les religions, à commencer par celle des hérésiarques chiites, à l’Occident, à la civilisation, au bout du compte à l’humanité même.

Entrés à reculons dans l’engrenage de cette guerre où nous sommes de plus en plus impliqués quoi que nous en ayons, nous y avons retrouvé, du même côté de la barrière que nous, ayant pris le même parti, et quoi que nous pensions de leurs motifs, de leurs objectifs et de leur moralité, la Russie, l’Iran, l’Irak et la Syrie dont les dirigeants et les peuples n’attendent pas de nous que nous leur indiquions la forme et l’orientation que doivent prendre leurs régimes.

Sont également membres, du moins en théorie, de la gigantesque coalition, en apparence disproportionnée, qui s’est constituée pour lutter contre Daech, pas moins de trente-quatre pays de religion musulmane et d’obédience sunnite en tête desquels figurent l’Arabie saoudite et la Turquie. Or, il se trouve que ces deux États mènent dans le drame planétaire qui se joue un jeu trouble, pour ne pas dire un double jeu. La guerre qu’ils conçoivent – guerre de religion, guerre d’influence – n’est pas la nôtre. Leur premier but est d’empêcher la formation d’un croissant chiite allant de Téhéran à Beyrouth qui ferait contrepoids à leurs ambitions et à leurs entreprises dans la région. Tenants eux aussi d’un islam austère, répressif et conquérant, il leur est difficile de condamner l’obscurantisme sanglant véhiculé par Daech et ses semblables, comme de leur reprocher de vouloir étendre son ombre sur le monde.

Mais une autre raison, plus obscure et non moins forte, explique leur duplicité : combattant chez eux ces organisations extrémistes, ils font tout pour détourner d’eux-mêmes et pour exporter la colère révolutionnaire qui s’en prendra un jour à leurs régimes corrompus jusqu’à la moelle et pourrait aussi bien barrer au mégalomane Erdoğan la route au bout de laquelle il rêve de restaurer l’Empire ottoman que ravir aux Saoud, ces bandits de grand chemin devenus les rois du pétrole, le contrôle des lieux saints de l’islam dont ils sont les indignes gardiens. Et c’est pourquoi, jusqu’à ces derniers temps, à Ankara, à Riyad, dans les Émirats, on a ignoré, toléré, encouragé, financé, armé les entreprises extérieures du terrorisme djihadiste, sous condition qu’elles restent extérieures.

Des accords commerciaux, des intérêts financiers, des affinités inavouables, des ententes crapuleuses, des traités qui ne sont que des chiffons de papier, et la routine d’une diplomatie périmée nous lient à l’Arabie saoudite et à l’admirateur de Hitler qui règne sur la Turquie. Des litiges secondaires, des souvenirs de guerre froide, des craintes chimériques, le poids des idées reçues, le marteau-pilon d’une propagande univoque nous interdisent de nous rapprocher de partenaires qui sont résolus à s’opposer par tous les moyens dont ils disposent à l’armée multiforme et tentaculaire de la reconquête islamiste.

Nous traitons en alliés ceux qui font le jeu de l’ennemi. Nous battons froid ceux qui le combattent. Est-ce l’Orient qui est compliqué, est-ce l’Occident qui a perdu la raison ?

Cherchez l’erreur.

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