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Derrière les initiales F.H. se cache un fin observateur de la gauche française, assez introduit dans l’entourage présidentiel pour ne rien ignorer (ou presque) de ce qui se trame dans le bureau du chef de l’Etat. Et qui, pour avoir suivi depuis de longues années François Hollande, est un fin analyste de la psychologie présidentielle.

Avec Christiane Taubira, longtemps je me suis pris pour Yves Montand dans Le Salaire de la peur. Attention danger ! Cette femme, c’est de la nitroglycérine. Puis je me suis dit que j’avais tout faux. Ma garde des Sceaux, c’est de la camomille dans un service de porcelaine. Elle peut casser mais jamais elle n’explosera.

Lundi, lors du Conseil des ministres de rentrée, je m’en suis fait à nouveau la réflexion en examinant la petite équipe qui me sert de gouvernement. Dans les moments décisifs de mon quinquennat, j’aime faire in petto cette revue des troupes. Celui-là est-il bien à sa place ? Et cet autre, faut-il que je le garde ? Et celle-là, puis-je la mettre ailleurs ? Ce remaniement potentiel que je ne dirai à personne m’excite au plus haut point.

Soyons quand même honnêtes. Dans cet exercice, seul le cas Taubira aujourd’hui m’intéresse. Que Fabius aille bientôt au Conseil constitutionnel, que Le Drian reste à la Défense dans un cumul assumé, que Delga ou Pinel rendent leur tablier pour gérer leur région est au fond le cadet de mes soucis. Ce remaniement-là est écrit d’avance. Pas de surprise, pas de stress. On fera comme on a dit et c’est très bien ainsi.

Scénario baroque. Avec Christiane, c’est différent. Bien sûr la messe est dite – elle restera – mais c’est précisément ce scénario que je tourne et retourne dans ma tête tant il me semble d’un baroque achevé. Résumons-nous : la garde des Sceaux déteste ma politique économique. Elle considère que Valls est un fou furieux. Elle explique que sa seule ambition est désormais de faire voter une réforme de la justice des mineurs dont chacun sait pourtant qu’elle ne verra jamais le jour. Enfin, elle a pris le risque de dire publiquement, juste avant Noël, tout le mal qu’elle pensait de mon projet de déchéance de nationalité.

Conséquence ? Rien ! Rien de rien. J’y suis, j’y reste ! J’en ai connu d’autres avec de semblables boussoles. On ne va pas refaire ici la liste de l’opportunisme en politique. Mais dans le genre, on a rarement fait mieux. Je dois reconnaître que Valls et Cazeneuve, en l’occurrence, avaient vu juste et cela depuis longtemps. « Tu l’embrasses, tu la couves et tu n’en fais qu’à ta tête. Quand elle crie, tu regardes ailleurs et le tour est joué », m’avait dit le premier.

Quant à mon ministre de l’Intérieur, il a toujours prétendu qu’une explication de gravure – en créole ! – suffisait à ramener l’ordre avec la dame lorsque c’était nécessaire. L’autre jour, il a m’a fait à son sujet une comparaison qui, sur le coup, m’a laissé sans voix : « Taubira est comme Debré au début de la Cinquième, lorsque celui-ci était à Matignon et que de Gaulle faisait en Algérie le contraire de ce qu’il avait promis. Eh bien, jusqu’au bout, il est resté à son poste en expliquant que son honneur s’appelait fidélité ».

Entreprise de séduction. Pour en avoir le cœur net, j’ai quand même profité du conseil de lundi pour suggérer à ma prétendue rebelle de venir dîner avec moi au plus vite. Elle ne pouvait refuser cette invitation. Elle l’a donc acceptée en m’embrassant comme du bon pain et quand elle s’est installée à ma table, deux jours plus tard, j’ai tout de suite compris qu’elle n’avait pas l’intention de me faire la guerre. Son tailleur rose fuschia et sa broche aussi éclatante qu’une fleur des îles laissaient plutôt présager une entreprise de séduction.

Christiane Taubira: « Comme disait le poète Léon-Gontran Damas, l’acte que nous allons accomplir est beau comme une rose dont la tour Eiffel assise à l’aube voit s’épanouir enfin les pétales »

On a trinqué pour la nouvelle année en riant d’une de mes blagues – « Et surtout, la Santé » – et, à partir de là, le spectacle a démarré au quart de tour. « Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder, ils s’habitueront ». Coup de bol, je connaissais l’auteur. René Char ! «Tu vois, François, a embrayé Christiane, on te prend souvent pour l’inculte que tu n’es pas. Moi, c’est un peu pareil. A gauche, les frondeurs me prennent pour leur alliée et la droite estime que je suis l’amie des délinquants. Tous se trompent et c’est pour cela qu’ils ne nous attraperont jamais ».

J’allais abonder quand ma garde des Sceaux m’a coupé la parole : « Comme disait le poète Léon-Gontran Damas, l’acte que nous allons accomplir est beau comme une rose dont la tour Eiffel assise à l’aube voit s’épanouir enfin les pétales ». J’ai fait semblant de croire qu’elle parlait de la déchéance. Mais je n’ai pas eu le temps de reposer ma fourchette que déjà Aimé Césaire déboulait dans mon assiette : « Tout l’espoir n’est pas de trop pour regarder le siècle en face ».

A ce rythme-là, on était parti pour écrire, le temps d’un dîner, le second tome de l’Anthologie de la poésie française signée autrefois par Georges Pompidou. Le cadre s’y prêtait, mais rien qu’à voir la tête du majordome qui nous servait les plats en silence, j’imaginais celle de Valls à qui j’avais promis un compte-rendu complet de ces échanges vespéraux.

« Parlons net », ai-je osé sans mesurer que j’étais en train de casser l’ambiance. « Mais c’est toujours le cas avec toi », a répliqué Christiane en se redressant sur sa chaise. J’ai encaissé l’insolence. « Ce projet de révision constitutionnelle, tu veux vraiment le présenter toi-même au Parlement ? » Que n’avais-je pas dit ! L’orage a soudain éclaté. Tropical et violent. « Tu me prends pour une dégonflée. » J’ai bafouillé. « Tu crois que je n’ai aucune conviction ? » J’ai hoché la tête, faute de mieux. « Tu imagines un instant que je puisse baisser pavillon face au terrorisme lorsqu’il s’en prend aux enfants chéris de notre République ? »

Je ne sais plus très bien ce que j’ai dit alors. Je me souviens simplement que le lendemain matin, quand Manuel est venu aux nouvelles, je lui ai expliqué que tout allait pour le mieux. « J’en étais sûr », s’est-il exclamé. Parfois, Valls est un poil innocent.

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