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Certes, la magistrature suprême n’était pas exactement une sinécure : son titulaire était astreint par le protocole à la charge symbolique de représenter la France. À lui, donc, le frac, le haut-de-forme, le grand cordon de la Légion d’honneur, mais interdiction de mettre les mains dans le cambouis. Le chef de l’État n’était qu’une potiche sur la cheminée de Marianne. La réalité du pouvoir allait au président du Conseil et à son gouvernement. Tandis que Waldeck-Rousseau liquidait l’affaire Dreyfus, en mettant au pas l’armée, les prêtres et les juges, le brave Émile Loubet recevait à déjeuner le roi du Portugal ou présidait la distribution des prix du concours général ; pendant que Clemenceau matait l’insurrection du Midi et punissait les braves soldats du 17e, le bon Armand Fallières assistait à la parade annuelle de Longchamp ou honorait de sa présence le Prix de Diane ; alors que Pierre Mendès France mettait fin à notre guerre d’Indochine ou donnait l’indépendance à la Tunisie, l’excellent René Coty baisait la main de la reine d’Angleterre ou accueillait dans son palais les forts des Halles et les catherinettes. C’est ce que le général de Gaulle appelait « inaugurer les chrysanthèmes ».
Les attentats de janvier et de novembre dernier ont profité à la popularité du Président actuel, qui en avait bien besoin. Mais François Hollande, à qui le phénomène n’a pas échappé, semble en avoir conclu qu’il n’est pas de cérémonie, d’enterrement, d’hommage aux victimes, de commémoration qui ne requièrent sa présence, digne et silencieuse. Comme son boulimique prédécesseur, il prétend à la fois gouverner et régner. Aussi n’est-il guère de jour, depuis quelque temps, qui ne le voie – entouré d’un maximum de ministres qu’il distrait de leur tâche, le buste droit, la paupière tombante, et le regard vague, apparemment fixé sur la ligne bleue des sondages à venir – saluer des policiers, des militaires, des veuves, des orphelins, des cercueils, déposer une gerbe au pied d’une statue, dévoiler une plaque mal orthographiée, écouter, recueilli, Johnny Hallyday.
La chose lui a réussi, d’abord. Elle tourne désormais contre lui. Ce que l’on attend du chef de l’État, sous la Ve République, ce n’est pas qu’il représente, mais qu’il agisse, et par exemple qu’au lieu de présenter des projets de loi ou de révision constitutionnelle torchés sur un coin de table et sans effet prévisible sur le terrorisme, il fasse le travail pour lequel il a été élu et dévoile sans tarder le plan large et complet de lutte, de prévention et de répression qu’appelle la situation. Mais où lui-même et son équipe trouveraient-ils le temps de réfléchir ? L’homme du 18 juin et du 13 mai faisait la part de l’être et du paraître. Son lointain successeur sacrifie de plus en plus aux apparences. La maison brûle, et Monsieur Chrysanthème passe en revue les pompiers.
Il y a un an, le 11 janvier 2015, plus d’un million de Parisiens étaient descendus dans la rue après les tueries de la rue Nicolas-Appert et de la porte de Vincennes. Avant-hier, ils n’étaient que quelques milliers place de la République. Ce n’est pas que le danger soit moins grand, ou la prise de conscience moins forte, au contraire. C’est que trop de commémorations tuent la commémoration.
Les locataires des immeubles parisiens s’irritaient naguère de retrouver trop souvent, se balançant à la porte vitrée de la loge, l’écriteau bien connu « La concierge est dans l’escalier ». Au portail du 55, rue du Faubourg-Saint-Honoré, les passants commencent à s’étonner que soit affichée en permanence la pancarte « Le président commémore ».