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Guillaume Maujean 

Dans un passage devenu célèbre de sa « Théorie générale », Keynes prônait une « euthanasie des rentiers » pour enrayer la « machine à concentrer les richesses ». Les épargnants qui possèdent une assurance-vie, une retraite complémentaire ou un simple compte sur livret doivent se demander si on n’en est pas arrivé là. Les rendements de leur portefeuille sont rognés d’année en année pour tendre vers zéro. Les taux de l’assurance-vie rapportaient plus de 5 % en début de siècle, 3,5 % il y a cinq ans. Ils vont encore baisser pour se rapprocher de 2 % cette année… C’est mieux que rien, largement mieux que l’inflation qui, elle, est déjà nulle. Mais cet inexorable déclin ne laisse pas d’interroger. Les assureurs et leurs clients vont-ils longtemps accepter de se faire « euthanasier » ? Et lorsqu’ils en auront assez, qui prendra leur place pour financer l’économie ? Plutôt que d’« euthanasie », on parle plutôt aujourd’hui d’un phénomène de « répression financière ». Après la crise, gouvernants, régulateurs et banquiers centraux ont ressorti les vieilles recettes d’après-guerre pour permettre à des Etats impécunieux de continuer à financer leurs déficits, et maintenir sous respiration artificielle des économies malades de la dette. Les taux d’intérêt ont été poussés vers zéro, les financiers encouragés par la réglementation à investir sur des produits de dette, malgré la faiblesse des rendements. Et c’est ainsi que les épargnants se retrouvent à payer un impôt insidieux pour que le système continue de tourner, en attendant des jours meilleurs.

Cette répression financière ne devait être que conjoncturelle. Elle semble désormais partie pour durer. D’abord parce que notre énorme stock de dettes est loin d’avoir diminué. Ensuite parce que de profondes mutations sont en train d’installer les bases d’un monde sans croissance. Vieillissement de la population, sous-investissement, épuisement du progrès technique, révolution technologique sans gains de productivité : ces phénomènes sont des forces fondamentalement déflationnistes, qui empêcheront tout retour d’une dynamique semblable à celle que l’on a connue pendant les Trente Glorieuses. Les Etats ont dès lors deux choix devant eux. Réformer de fond en comble leurs économies pour lutter contre ces « vents contraires », et déceler de nouveaux gisements de croissance. Ou, comme le proposait Colbert, continuer de plumer l’oie pour obtenir le plus de plumes avec le moins de cris possible.

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