Étiquettes
Depuis le 15 janvier 2015, l’économie suisse reste ébranlée. Et si ce n’était que le début?
Evolution du cours de l’euro par rapport au franc et variation en % des exportations suisses, depuis le 1er janvier 2000. G. LAPLACE. DONNÉES: T. THÖNI, P-A.-SALLIER. SOURCE: DFF, AFD, DELOITTE.
Il y a une année jour pour jour, la météo était déjà maussade du côté de l’arc lémanique. De la pluie et du vent sur le lac Léman dans une atmosphère douce. Mais rien ne laisser présager la tempête économique en train de se lever sur le pays. Douze mois plus tard, personne n’arrive encore à en percevoir les conséquences, sauf évidemment les 10 486 personnes supplémentaires inscrites au chômage en décembre.
Thomas Jordan, le président de la Banque nationale suisse (BNS), annonçait en effet laconiquement le 15 janvier 2015: «La BNS abolit le cours plancher de 1 fr. 20 pour 1 euro.» En arrêtant abruptement de soutenir artificiellement le cours de change en achetant des euros à coups de milliards, la Banque nationale suisse a laissé le franc suivre son cours et s’envoler. Résultat: les produits suisses sont devenus immédiatement jusqu’à 20% plus chers que ceux de la concurrence européenne. Les entreprises suisses ont réagi en baissant massivement leurs prix, faisant s’effondrer leurs marges. D’autres ont délocalisé ou fermé.
Cette journée a marqué les esprits (lire ci-dessous). Certains parlent d’un tremblement de terre, voire d’un cataclysme, la plupart en tout cas d’un choc profond. Cette décision était d’autant moins compréhensible qu’un des anciens membres du directoire de la BNS, Jean-Pierre Danthine, indiquait encore une semaine auparavant que la banque centrale suisse n’allait rien changer à sa politique. Beaucoup ont carrément crié à la trahison.
«Le pire est passé»
En fin d’année 2015, voyant que la conjoncture suisse se reprenait après avoir frisé la récession – soit une croissance négative deux trimestres d’affilée – un grand nombre de spécialistes se félicitaient. «Le pire est passé, l’économie suisse a encore démontré avec brio sa capacité de résistance. Comme lors des crises passées, elle sortira à nouveau renforcée de cette appréciation brutale de la valeur du franc», entendait-on presque partout.
Mercredi encore, Fritz Zurbrügg, numéro deux de la BNS et responsable opérationnellement de la levée du taux de change plancher, indiquait lors de la journée des directeurs financiers d’entreprise à Zoug: «Les conséquences du franc fort sont toujours visibles dans vos entreprises, mais cette décision était inévitable et, à long terme, elles sortiront renforcées par le franc fort, qui les maintient sans arrêt sous pression.»
En ce début d’année 2016, pourtant, le doute continue de dominer, compte tenu de la dimension prise par les événements. La liste des entreprises qui ferment boutique continue de s’allonger (lire ci-contre). Même les multinationales comme General Electric réduisent la voilure, en biffant un emploi sur quatre chez Alstom Suisse, qu’elle a racheté.
Les syndicats haussent le ton. Unia demande même la démission de la direction de la BNS. Les politiques en charge de l’Economie, en premier lieu le conseiller fédéral Johann Schneider-Ammann, semblent désemparés. Son plan d’action? «La situation est dramatique pour les employés d’Alstom concernés, mais on ne peut rien faire d’autre que montrer les avantages de la Suisse», commentait-il mercredi.
Décisions stratégiques en 2016
Et si ce n’était que le début? Et si les effets négatifs de la levée du taux de change plancher n’allaient vraiment se manifester que maintenant, comme un jeu de dominos qui poursuit son mouvement bien longtemps après la première impulsion?
Martin Neff, économiste en chef du groupe bancaire Raiffeisen, le 3e plus important de Suisse, en est convaincu: «J’ai toujours été un admirateur de l’industrie suisse, et mes espoirs passés de voir la Suisse s’en sortir, quand elle essuyait un coup de tabac, ont toujours été confirmés. Mais maintenant, pour la première fois, je n’en suis plus du tout aussi sûr.» Parlant de la destruction de 10 000 emplois en Suisse suite à la levée du taux plancher, il expliquait que «nous ne nous trouvons même pas en phase de digestion» de cet événement majeur. «Les entreprises ont paré au plus pressé en 2015; les décisions stratégiques seront prises en 2016.»
L’économiste en chef de Deloitte, Michael Grampp, a même indiqué hier «s’attendre à la parité de taux de change entre le franc et l’euro, car l’économie européenne va continuer à vivre sous perfusion». Mais cette fois, les entreprises suisses auront de longs mois pour s’y adapter. Les directeurs suisses s’attendent en moyenne à un taux de change à 1 fr. 07 pour 1 euro en 2016, selon un sondage réalisé par ce réviseur.