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Mort d’un Pygmalion

Le grand imprésario s’est éteint à Las Vegas

Odile Tremblay
René Angélil, rarement émotif en public, apparaît ici en 2002, quand lui et Céline Dion sont devenus parrain et marraine de la Fondation de l’hôpital Sainte-Justine.
Photo: André Forget Agence France-Presse René Angélil, rarement émotif en public, apparaît ici en 2002, quand lui et Céline Dion sont devenus parrain et marraine de la Fondation de l’hôpital Sainte-Justine.

Grand imprésario, et rare mogul québécois au pinacle américain et planétaire, il aura symbolisé le flair, la volonté, l’ambition, le risque calculé du grand joueur de poker, la richesse et la force, là où la plupart de ses compatriotes se sentaient plus ou moins nés pour un petit pain. Pas René Angélil, disparu jeudi à 73 ans des suites d’un cancer de la gorge, longtemps combattu aux côtés de la chanteuse Céline Dion, son épouse dont il fut le grand Pygmalion.

Angélil, né à Montréal en 1942 d’un père d’origine syrienne et d’une mère d’ascendance libanaise, avait reçu un héritage levantin, la confiance en lui et le goût de foncer. Il ne regretta jamais d’avoir misé sur sa Céline. Ni elle sur lui. Appelons ça un duo gagnant.René Angélil souffrait d’un cancer depuis 1999 et avait subi l’ablation d’une tumeur à la gorge en décembre 2013. Le 13 août dernier, Céline Dion annulait sa tournée de spectacles. Son homme avait une rechute. Pas question de bouger. Mais à sa demande, elle remontait sur scène au bout d’un an au Ceasars Palace de Las Vegas, le 27 août 2014, en lui offrant par ailleurs tout son temps libre, passant des heures à rédiger les dernières volontés d’un époux devenu quasi muet, épuisé par les traitements, le nourrissant à la sonde, collée à lui jusqu’au dernier souffle.

Duo indissociableSi le monde a appris à connaître cet imprésario, de métier voué à l’ombre, c’est à travers le regard passionné posé sur lui depuis son adolescence par cette star québécoise qu’il a formée et fait trôner en diva planétaire de la chanson populaire, en anglais et en français. Le nom de Céline Dion est indissociable de celui de son homme, de 26 ans son aîné, aux dires de la chanteuse seul amour de sa vie, épousé deux fois sous deux confessions différentes : en 1994 à la basilique Notre-Dame de Montréal, puis six ans plus tard à Las Vegas façon orientale. Ils formaient un tandem indissociable. L’artiste et son roc. La voici survivante aux côtés des trois enfants qu’il lui a donnés après épisodes de fécondation in vitro. René-Charles en 2001, les jumeaux Eddy et Nelson en 2010. Tous élevés le plus possible loin des feux de la rampe, après des naissances fort médiatisées.

Après 30 ans de vie professionnelle commune, René Angélil, à la tête des Productions Feeling, avait passé la main en juin, se sentant trop faible pour gérer désormais la carrière de son épouse. Sur ce plan, la transitionn s’était établie en douceur.Ses performances d’acteur ne passeront pas à l’histoire, ni son apparition au bar dans Après ski de Roger Cardinal en 1971, ni dans Omertà de Luc Dionne en 2012 en parrain de la mafia, deux films ayant été qualifiés à la ronde de navets.

 Une vie en plusieurs temps Après des études chez les clercs de Saint-Viateur de Montréal, René Angélil avait plongé dans la chanson aux riches heures du yéyé, de 1961 à 1972, surnommé « le p’tit gros des Baronets », aux côtés de son ami d’enfance Pierre Labelle et de Jean Beaulne, trio cravaté qui reprenait en français surtout les succès des Beatles, Twiste et chante et autres tubes. « C’est fou, mais c’est tout » entonnaient Les Baronets avec énergie clinquante et yeux de velours.

Puis, il devint imprésario, un temps associé avec Guy Cloutier. C’est René Angélil qui prit sous son aile le jeune René Simard, enfant à la voix d’or hissé en triomphe dans les chaumières et sur scène. Après la création des Productions René Angélil en 1979, il devient le gérant de Ginette Reno, grande voix populaire déjà célèbre, qu’il contribue à hisser plus haut, tout en échouant à lui offrir la carrière américaine et mondiale dont il rêvait pour elle, faute d’un intérêt de la chanteuse, qui le laissa tomber de toute façon.Les voies du destin sont impénétrables. Un jour de spleen de 1981, il reçoit une cassette dans une enveloppe. Une petite fille de 12 ans chante Ce n’était qu’un rêve sur des mots composés par sa mère. C’est Céline Dion, qui d’autre ? Le voici ébloui par sa voix. C’est dit : sa carrière, il la prendra en main, après avoir hypothéqué sa propre maison — on n’est pas joueur pour rien — afin de produire son premier album. Ça décolle au Québec, puis partout. Il devient aussi son compagnon, à l’âge encore tendre de sa protégée, ce qui fit jaser.

Un jour, René Angélil avait évoqué les propos de Céline Dion devant la télé où chantait Michael Jackson, alors au faîte de sa gloire. « Je me vois là, moi aussi. » C’est l’ambition de sa dulcinée qui le convainquit. Cette fois, il pouvait miser gros, en gambler aguerri, en amoureux, en imprésario. Il allait convaincre le monde entier que son rossignol était le plus doué du monde. Que celui qui ose prétendre le contraire se tasse de son chemin !À 16 ans, la fillette de Charlemagne, très peu scolarisée, chantait Une colombe devant le pape Jean-Paul II et 65 000 personnes au Stade olympique de Montréal, puis ce fut l’Olympia de Paris. Tokyo, Los Angeles, le Ceasars Palace de Las Vegas, dont la salle de spectacle a été construite pour elle. My Heart Will Go On, à bord du Titanic, alouette !

Dans Le maître du jeu, une biographie signée Georges-Hébert Germain en 2009, Angélil se voyait décrit comme un ami loyal, doublé d’un adversaire impitoyable, d’un protecteur fervent pour Céline Dion, d’un bon père pour les trois enfants de son dernier lit, mais peu présent au départ pour ceux qu’il avait conçus dans son jeune temps. Entre 1966 et 1973, il avait été l’époux de Denise Duquette, puis de 1973 à 1988 d’Anne-Renée Kirouac. Trois enfants étaient nés de ces unions : Patrick, Jean-Pierre et Anne-Marie.Les parts sombres de René Angélil sont nombreuses : joueur compulsif avoué (maître qualifié au Championnat du monde de poker en 2005), trouvant sa terre promise à Las Vegas où se produisait Céline et où les casinos roulaient. Comme gérant, il contrôlait sans vergogne les médias, quand son bras long le lui permettait. On se souvient de l’épisode où Angélil, en décembre 2000, courroucé contre un titre de 7 jours, qui évoquait le jumeau congelé du foetus de Céline, avait fait détruire 200 000 exemplaires déjà imprimés du magazine.

La puissance alliée à la richesse, c’était lui. Un homme étrange, comme issu des anciens potentats. Qui joua sa vie et gagna, puis rideau !

René Angélil, rarement émotif en public, apparaît ici en 2002, quand lui et Céline Dion sont devenus parrain et marraine de la Fondation de l’hôpital Sainte-Justine.Arrivée à Las Vegas en famille pour René Angélil accompagné de Céline Dion, de leurs enfants Nelson, Eddy et René-Charles ainsi que de la mère de la chanteuse, Thérèse Dion.René Angélil fait son entrée au Kodak Theatre d'Hollywood pour assister à la cérémonie des Oscar le 27 février 2011.Le 17 juin 2009, René Angélil reçoit l'Ordre national du Québec des mains du premier ministre Jean Charest.René Angélil n'a jamais caché son intérêt pour le jeu. Ici, il participe à un tournoi de poker à Las Vegas, le 8 juillet 2007.Céline Dion et René Angélil en 2002René Angélil présente son fils René-Charles à la foule à l'occasion du baptême de l'enfant célébré à Montréal le 25 juillet 2001.Céline Dion et René Angélil quittent l'église après leur mariage à Montréal, le 17 décembre 1994. Le nom de Céline Dion est indissociable de celui de son homme, de 26 ans son aîné, aux dires de la chanteuse, seul amour de sa vie.René Angélil avait plongé dans la chanson aux riches heures du yéyé, de 1961 à 1972, créant aux côtés de Pierre Labelle et de Jean Beaulne le trio Les Baronets.