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trois des quatre Américains libérés samedi par Téhéran ont atterri dimanche à Cointrin avant de repartir.

Trois Américains relâchés par l’Iran sont arrivés hier à Cointrin à bord d’un jet suisse (à droite) avant de monter dans un Boeing des Etats-Unis (à gauche). 
Trois Américains relâchés par l’Iran sont arrivés hier à Cointrin à bord d’un jet suisse (à droite) avant de monter dans un Boeing des Etats-Unis (à gauche). Image: Keystone

Une quinzaine de photographes et de cameramen immortalisent la scène: l’arrivée ce dimanche sur le tarmac de l’aéroport de Genève de trois des quatre Américains libérés samedi par Téhéran. La chaîne CNN en fait son live. Washington annonce de son côté la libération de sept Iraniens. L’échange de prisonniers entre l’Iran et les Etats-Unis marque l’entrée en vigueur de la levée des sanctions suite à l’accord sur le nucléaire iranien. La Suisse a joué un rôle clé. La nuit tombe lorsque le jet du Conseil fédéral se pose à 18 h 04 à Cointrin. Il vient de Téhéran et transporte un représentant du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), des médecins et surtout trois ex-prisonniers américains d’origine iranienne: Jason Rezaian, chef du bureau du Washington Post à Téhéran, Amir Hekmati, ancien marine, et le pasteur Saeed Abedini. Ces derniers remontent dans un Boeing affrété par les Etats-Unis pour repartir vers une base américaine en Allemagne. Pourquoi la Suisse a-t-elle constitué une étape du voyage? Pour sa neutralité? Pour la remercier de ses bons offices?

Barack Obama l’a relevé depuis Washington, face aux caméras: «Je voudrais remercier le gouvernement suisse, qui a représenté nos intérêts en Iran, pour son aide cruciale.» La diplomatie suisse a joué un «rôle positif et a facilité» l’échange, selon Gholam-Ali Khoshroo, ambassadeur d’Iran auprès des Nations Unies. Depuis 1980, la Suisse représente les intérêts de l’Iran aux Etats-Unis et vice versa.

Une partie importante des négociations nucléaires s’est aussi tenue dans notre pays. L’ex-conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey rappelait en 2013 dans nos colonnes: «La Suisse n’a pas seulement joué le rôle d’Etat hôte en accueillant ces négociations, mais elle les a aussi aiguillées en 2008, 2009 et 2010.»


Historique, la levée des sanctions va tout changer. Ou presque?Trente-sept ans jour pour jour après le départ du dernier shah d’Iran, l’accord sur le nucléaire iranien, entré en vigueur samedi soir à Vienne, ouvre une nouvelle page dans les relations entre l’Iran et le reste du monde. Les Etats-Unis, l’Union européenne et l’ONU ont mis fin à près de treize ans de sanctions économiques et financières à l’encontre de l’Iran. «Une nouvelle ère s’ouvre», s’est enthousiasmé le président iranien Hassan Rohani ce dimanche à Téhéran. Vraiment? Boom de l’or noir

L’Iran détient la quatrième réserve de pétrole brut au monde et l’embargo international avait forcé le pays à réduire de moitié ses exportations. Si le pays a vendu un million de barils par jour au cours des dernières années, il compte augmenter rapidement à 1,5 million de barils par jour et parvenir à 2,5 millions d’ici à un an. Ce qui implique de juteux contrats pour le géant français Total et l’italien Eni.

Pour autant, cela ne fera pas forcément exploser les revenus. Le prix du baril, qui est déjà très bas (il est passé sous la barre des 30 dollars vendredi), risque de baisser encore vu l’augmentation de l’offre iranienne.

Pour le président iranien, il est urgent de «couper le cordon ombilical» avec les hydrocarbures. Ce dimanche, il a présenté au parlement un budget 2016 prévoyant des revenus pétroliers inférieurs à 25%. Le nouvel Iran veut miser sur d’autres ressources pour remplir les caisses de l’Etat.

Ruée des investisseurs

Depuis plusieurs mois, les milieux économiques se bousculent en Iran pour investir ce marché de 77 millions d’habitants. Pour atteindre son objectif de 8% de croissance (contre 0% actuellement), le pays a besoin de 30 à 50 milliards d’investissements étrangers. L’industrie automobile du premier fabricant de voitures au Moyen-Orient va renouer ses contrats avec la compagnie française Renault. En juillet, le constructeur européen Airbus livrera 114 avions à Téhéran. «On n’aura plus peur de prendre l’avion», s’est exclamé un internaute iranien. Ces dernières années, de nombreux accidents d’avion ont été imputés au mauvais entretien des appareils dont les pièces de rechanges ne pouvaient être livrées à l’Iran pour cause de sanctions. Mais ce n’est pas tout. L’Europe se tourne vers le gaz iranien, deuxième réserve mondiale, au détriment de la Russie.

Commerce libéré

Le retour progressif de l’Iran dans le système bancaire international devrait permettre au pays de financer ses opérations commerciales et de diversifier ses échanges avec le monde. Pour des millions d’Iraniens, la fin des sanctions est donc bien synonyme de perspectives d’avenir. «J’ai le sentiment d’avoir été coupé du monde toute ma vie. Mon rêve, c’est de partir étudier à l’étranger», confie Seyed, 25 ans, étudiant en philosophie. Pas sûr, cependant, que les banques reviennent immédiatement; elles attendent de voir si le Congrès américain va mettre des bâtons dans les roues.

Cela dit, nombreux sont les Iraniens qui vont pouvoir commercer plus aisément avec l’étranger. Selon le gouvernement iranien, les sanctions renchérissaient de 15% les échanges. Les produits iraniens seront donc plus compétitifs dorénavant.

Espoirs de réformes

L’accord nucléaire et la levée des sanctions, c’était une promesse du président Hassan Rohani. Quel est son objectif à présent? Bien des Iraniens espèrent des réformes. Par exemple, pour homogénéiser la législation fiscale.

Les autorités iraniennes ont initié en 2010 une réforme qui devrait s’achever en 2018. Mais sa mise en œuvre est compliquée, car «il n’existe pas de base de données fiscale» et de «nombreuses compagnies et individus bénéficient encore de l’exemption d’impôts», a récemment déclaré le ministre iranien des Finances, Ali Tayebnia. Ces «avantages fiscaux» concernent en particulier les secteurs énergétiques et économiques contrôlés par les Gardiens de la révolution – ainsi que les fondations religieuses – qui refusent toute transparence.

Après un long bras de fer avec le président, soutenu dans ses réformes économiques par le guide suprême Ali Khamenei, les Gardiens payeront leurs impôts à partir de l’année prochaine.

Caroline Azad Téhéran et Andrés Allemand

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