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Mais au fait, pourquoi la ville est-elle ainsi bloquée ?
Dominique Jamet, Journaliste et écrivain
Assiégés depuis dix-huit mois par les troupes de Bachar el-Assad et du Hezbollah, privés de tout ravitaillement et de toute communication avec l’extérieur, réduits à manger les chiens, les chats, les feuilles des arbres, l’herbe des talus, les quarante mille habitants de Madaya vivent un effroyable calvaire. À Madaya, on meurt de faim, littéralement, et si la presse internationale n’avait joué son rôle en attirant l’attention du monde entier sur le sort des malheureuses victimes du président-syrien-qui-massacre-son-peuple, si l’ONU n’avait fait pression sur Bachar, jamais celui-ci n’aurait accepté de laisser passer le convoi humanitaire de nourriture et de médicaments qui a provisoirement atténué leurs souffrances.

Mais au fait, pourquoi la ville est-elle ainsi bloquée ? Quelle faute expie-t-elle, et surtout pourquoi le président syrien a-t-il choisi de s’en prendre à des civils innocents et d’en faire le siège plutôt que d’y faire entrer ses soldats et d’en reprendre le contrôle ? À vrai dire, c’est que Madaya est solidement tenue par l’Armée de la conquête, coalition qui réunit le Front al-Nosra (branche syrienne d’Al-Qaïda) et les salafistes si modérés d’Ahrar al-Cham, les uns et les autres soutenus et longtemps armés par l’Arabie saoudite et, dit-on, la France. Si Damas soumet la ville à ce qui ressemble à une punition inhumaine, c’est parce qu’il est hors d’état de lui donner l’assaut.

Il faut lire attentivement les journaux pour découvrir que les rebelles, incapables de leur côté de desserrer l’étau autour de Madaya, ont en représailles soumis depuis dix-huit mois à un blocus identique, aussi étroit, aussi cruel, les vingt-cinq mille habitants des villages chiites de Foua et Kefraya, dont le seul tort est, en raison de leur obédience confessionnelle, d’être fidèles au régime. Eux aussi meurent de faim, eux aussi sont les victimes innocentes de l’effroyable guerre civile qui sévit sur le sol syrien depuis plus de quatre ans, et si le régime a entrebâillé la porte pour laisser passer le convoi de la Croix-Rouge qui a momentanément soulagé les souffrances de Madaya, c’était à condition que les rebelles autorisent le ravitaillement de Foua et Kefraya, eux aussi villages martyrs. Mais ça, on ne nous le dit pas, il ne faut pas nous le dire puisque la presse et la diplomatie françaises restent obstinément attachées au choix manichéen qu’elles ont fait depuis le début de soutenir l’opposition syrienne, de quelques crimes qu’elle se souille, et de condamner le régime sans l’entendre, alors même que notre intérêt bien compris devrait nous conduire à préférer son maintien à la victoire de Daech. Dans cette guerre sans loi sinon sans foi, nos médias pratiquent sans vergogne et sans limite le système du deux poids deux mesures et, parmi toutes ses victimes, la moindre, depuis 2011, n’est pas la vérité.

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