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C’est à un drôle de théâtre d’ombres que nous avons affaire, que ce jeu de sanctions, un jour levées et l’autre renforcées, entre Washington et Téhéran. Tentative de décryptage.
Pour l’essentiel, l’accord américano-iranien est désormais entériné, ce au grand dam de Tel Aviv et de Riyad. Le fait que ces deux capitales doivent leur survie, financière pour l’une et politico-militaire pour l’autre, au seul bon vouloir américain explique à l’évidence à la fois leur grogne et leur impuissance manifeste. Mais comment mordre trop fort la main qui vous nourrit ?
Le marché iranien fait donc figure d’éventuel eldorado pour les multinationales occidentales. On évoque même – un peu imprudemment, à en croire nos sources – la vente de 114 Airbus à l’Iran… Ce qui est sûr, en revanche, c’est que Téhéran, en matière économique, entend ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier et ne pas à nouveau dépendre uniquement de telle ou telle puissance étrangère.
De son côté, Barack Obama, après avoir tordu le bras de l’AIPAC (American Israel Public Affairs Committee), jusque là tout-puissant lobby israélien aux USA et de ses alliés républicains et néo-conservateurs, est obligé de lâcher un peu de lest, d’où ces nouvelles sanctions succédant à la levée des précédentes, concernant le programme balistique iranien. Il est plus que plausible que tout cela ne soit qu’effets de manches et de prétoires. En effet, l’accord historique récemment scellé ne concerne « que » le programme nucléaire iranien, qu’il soit civil ou à prétendue et fantasmatique prétention militaire.
Les missiles S-300, livrés par la Russie de Vladimir Poutine, sont une tout autre affaire relevant d’un registre éminemment différent, s’agissant tout bonnement de la sanctuarisation de l’antique Perse contre d’éventuelles attaques aériennes, et Dieu sait qu’en la matière, l’État hébreu n’en finit plus, en vain, de bomber le torse tandis que l’Arabie saoudite n’en finit plus, avec le même résultat, de jouer des pectoraux.
Nonobstant ces gesticulations de couloirs – Washington serait de plus en plus regardant quant aux visas accordés aux étrangers désireux de se rendre aux USA et ayant auparavant séjourné dans des pays tels que l’Iran et le Soudan, tracasseries néanmoins épargnées, par exemple, à la Pologne et autres nations européennes connues pour leur atlantisme militant -, aucun de ces nouveaux équilibres géopolitiques ne paraît susceptible d’être remis en cause à plus ou moins longue échéance, même après la fin du second mandat de Barack Obama.
Après les gesticulations de couloirs, la guerre pétrolière qui se joue en coulisses. Les cours de l’or noir sont en chute libre, en grande partie à cause de l’Arabie saoudite, qui inonde les marchés internationaux de son pétrole, désormais négocié à vil prix, creusant ainsi des déficits publics n’ayant plus guère rien à envier aux nôtres. Le but de cette fuite en avant ? Étrangler financièrement la Russie, meilleur soutien de son pire ennemi, le régime laïco-chiite de Damas, et empêcher Téhéran de renouer avec la croissance économique.
De fait, Téhéran laisse faire, fort d’impressionnantes réserves pétrolières et gazières, et inonde à son tour le marché. Contrairement à Riyad, la capitale iranienne a plus d’atouts dans sa manche : une économie ne reposant pas uniquement sur ses gisements d’énergie fossile, un régime stable sachant de longue date gérer ses innombrables minorités religieuses et, surtout, le statut désormais incontesté de meilleur rempart militaire contre l’État islamique, avec Moscou, allié traditionnel et partenaire indéfectible sur un terrain d’opération que les Occidentaux, rétifs à toute opération au sol, se contentent de bombarder de haut.
Et la France, dans tout cela ? De sources diplomatiques bien informées, pour reprendre la formule consacrée, les Iraniens ont pris acte du relatif retournement d’un Laurent Fabius, ministre français des Affaires étrangères, naguère le plus en pointe pour faire capoter la réintégration de l’Iran dans le concert des nations, et désormais revenu à des positions plus raisonnables. Mieux : c’est peut-être de l’Élysée que le président iranien Hassan Rohani attend le plus. À savoir, jouer de l’ancestrale politique arabe du Quai d’Orsay pour calmer le jeu entre Riyad et Téhéran.
L’affaire est jouable. À condition que le « Président des bisous » sorte de cet immobilisme hivernal qu’on croyait jusque-là réservé aux ours de la banquise.