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Par Ludovic Dupin 

Face à des défis de plus en plus importants pour le parc électronucléaire, le gendarme de l’atome alerte sur les difficultés financières des industriels du secteur et le manque de moyens des autorités de surveillance.


Pierre-Franck Chevet – Crédits Luc Perenom

A l’occasion des vœux de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), son président Pierre-Franck Chevet a dressé un sombre constat pour le nucléaire français. « Le contexte de la sûreté et de la radioprotection est particulièrement préoccupant. Nous entrons dans une phase sans précédent et les industriels, qui portent les enjeux de sûreté, sont en difficulté. L’ASN et l’IRSN (Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire) manquent de moyens pour assurer leurs missions« , lance-t-il en propos liminaire.

Pierre-Franck Chevet liste les « enjeux sans précédent ». Il y a d’une part la prolongation de la durée de vie des réacteurs nucléaires au-delà de 40 ans et des grosses installations du cycle du combustible. L’ASN, qui veut associer à ses études techniques une participation du public, donnera un avis générique en 2018.

Ensuite, il faudra prendre des décisions au cas par cas pour prolonger les réacteurs, avec pour première échéance les réacteurs du Tricastin (Vaucluse) en 2019.

Des nouveaux chantiers difficiles

Autre grand enjeu, l’arrivée des mesures post-Fukushima. Le président de l’ASN se réjouit que le déploiement de la Force d’action rapide nucléaire (FARN) se soit achevé fin 2015. Ces pompiers du nucléaire peuvent intervenir en urgence sur n’importe quel site, y compris la plus grande centrale de France, celle de Gravelines (Nord), qui compte 6 réacteurs.

Mais il rappelle qu’il faut maintenant mettre en place le noyau dur. C’est-à-dire des équipements fixes sur chaque centrale pour faire face à un accident. Début 2016, dans ce cadre, l’ASN va lancer un travail site par site pour établir le niveau de séisme de référence pour chaque site nucléaire.

L’ASN suit également les nouvelles constructions nucléaires en France qui sont « difficiles pour l’ensemble des chantiers « , décrit Pierre-Franck Chevet. Le réacteur de recherche RJH pour le CEA et le prototype de réacteur à fusion présentent « beaucoup de retard mais sans enjeu de sûreté« , assure-t-il. En revanche, son regard se durcit en abordant le cas du réacteur EPR en construction à Flamanville (Manche).

« Le problème de la cuve de l’EPR est très sérieux« , assure-t-il une nouvelle fois. Des concentrations de carbone trop élevées ont été mesurées dans le couvercle et le fond de cette pièce du réacteur. L’ASN vient d’autoriser un programme de tests pour juger de la résistance de cet équipement. Elle espère pouvoir donner une réponse fin 2016. D’autres anomalies ont été identifiées sur des vannes qui ne s’ouvrent et ne se ferment pas selon les spécifications requises.

Besoin de réexamen systématique

Mais au-delà des anomalies en tant que telles, Pierre-Franck Chevet est préoccupé par le fait que ces problèmes ont été découverts « sous pression de l’ASN et non par l’exploitant. Ceci interroge sur le fait de savoir s’il n’y a pas des malfaçons qui n’ont pas été découvertes ! Il y a un besoin de réexamen systématique« , assure-t-il. Déjà, dans l’usine Areva du Creusot (Saône-et-Loire), où a été forgée la cuve, une procédure d’examen est en cours.

En face de cette longue liste de chantiers, l’ASN met en regard les « grandes difficultés économiques et techniques des industriels qui en sont en charge « . Il fait référence à Areva, qui subit de lourdes pertes et à EDF, qui fait face à un vrai mur d’investissements. « Le gouvernement a pris la bonne décision en arrêtant un nouveau schéma d’organisation [ndlr : reprise d’Areva NP par EDF], mais il reste beaucoup de travail pour aboutir à une organisation efficace et au retour des capacités financières pour traiter les urgences« , explique le gendarme de l’atome.

Dernier point d’inquiétude, « nous n’avons pas obtenu les moyens supplémentaires que nous avons demandés », alerte Pierre-Franck Chevet. L’ASN et son bras technique, l’IRSN, regroupent 1000 personnes. « Il nous en faudrait 200 de plus« , explique le président. Pour l’heure, le gouvernement a débloqué les fonds pour créer 30 postes supplémentaires. Face à ce manque de ressources humaines, « je dois prendre des décisions de priorisation de surveillance des installations en cours de fonctionnement« , déplore Pierre-Franck Chevet

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