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Délocalisation. En contrepartie: productivité plus faible, infrastructures défaillantes, difficultés de coordination, encadrement insuffisant et incertitude sur la stabilité du pays.
La délocalisation est l’opération par laquelle une entreprise transfère à l’étranger tout ou partie de ses activités dans le but de diminuer les coûts de production des biens destinés aux marchés d’origine. La délocalisation est ainsi réalisée par l’installation d’une unité dans un autre pays, par la prise de contrôle de sociétés étrangères ou encore par des contrats de sous-traitance. La production délocalisée est destinée à être réexportée vers le marché national ou vers les marchés d’exportation habituels. Les délocalisations concernent surtout les secteurs intensifs en main-d’œuvre peu qualifiée comme le textile.
L’ampleur du phénomène de délocalisation ne doit toutefois pas être exagérée. Des coûts salariaux plus bas dans les pays du Sud ont pour contrepartie une productivité plus faible, des infrastructures défaillantes, des difficultés de coordination industrielle, l’insuffisance de l’encadrement, l’incertitude sur la stabilité économique et politique du pays.
Allez Savoir, le magazine de l’Université de Lausanne (janvier 2016), aborde ce thème en se référant aux travaux de Suzanne de Tréville, professeure au département des opérations de la Faculté des hautes études commerciales (HEC) de l’Unil. Avec un groupe de chercheurs, elle a modélisé les coûts et développé un nouvel outil (le Cost-Differential Frontier Calculator – CDF) prouvant que délocaliser coûte beaucoup plus cher que ne le pensaient jusqu’ici les dirigeants. Ce serait même, souvent, plus coûteux que rester sur place. Utilisant les principes de la finance quantitative, le CDF calcule le coût réel résultant de l’allongement de la chaîne d’approvisionnement. Ce logiciel permet ainsi de quantifier l’un des coûts cachés les plus importants causés par les délocalisations. Ces coûts (ex: frais de transport, de douane, questions de traduction ou d’emballages) étaient jusqu’ici extrêmement difficiles à prendre en compte. Les managers et décideurs politiques disposent à présent de données concrètes sur lesquelles baser leurs décisions et peuvent désormais identifier les marchés pour lesquels une relocalisation de la production est la plus prometteuse.
Se focaliser presque exclusivement sur les salaires, comme le font la plupart des dirigeants d’entreprises qui veulent délocaliser leur entreprise, est une erreur de perspective. L’étude de l’Université de Lausanne montre qu’au final la main-d’œuvre ne représente que 20% du produit, «autant dire que ce n’est pas forcément un paramètre déterminant».
Sur l’allongement de la chaîne d’approvisionnement consécutif à une délocalisation, l’auteur de l’étude est explicite: «Lorsqu’une entreprise basée en Suisse dépend de pièces fournies par une usine en Chine, les délais de livraison s’allongent considérablement, ce qui oblige l’entreprise à passer des commandes plus grosses. Elle est ainsi beaucoup plus exposée aux fluctuations de la demande et doit assumer des problèmes de gestion des stocks: elle est soit en situation de rupture, soit de surplus. Et cela lui coûte cher.
Il ne faut pas non plus oublier qu’«en Chine ou dans d’autres pays d’Asie, la question de la protection intellectuelle est une question sensible. En développant les innovations en Suisse, vous êtes sûr de rester propriétaire de l’idée».
«Il y a quelques occasions où délocaliser peut faire sens, concède la professeure vaudoise. Si vous voulez pénétrer le marché chinois, ça n’est pas idiot de produire sur place. Mais dans les autres cas, ça n’est presque jamais intéressant économiquement parlant.» Bref, délocaliser, contrairement à ce que l’on pourrait penser au premier coup d’œil, est rarement le meilleur moyen d’augmenter ses bénéfices, conclut, tout bien pesé, Suzanne de Tréville. Optimiser la chaîne de production est une voie bien plus prometteuse et permet de garder les industries en Suisse.
* Université de Genève