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Gérard Moatti
Dans son dernier livre, Jean-Marc Daniel propose à la gauche de revenir dans le droit – mais rude – chemin de la modernité. Recettes à l’appui.
Ce programme est exposé en une centaine de pages concises, allègrement écrites et dans lesquelles de nombreuses références historiques viennent à l’appui des arguments économiques. Il ne s’agit pas d’une défense inconditionnelle de l’entreprise – les conservatismes et les corporatismes existent aussi bien chez les patrons que chez les syndicats -, mais de la mise en oeuvre concrète de quelques principes : affirmation de la liberté et de la responsabilité individuelles, réduction et profonde transformation du rôle de l’Etat, élargissement du champ de la concurrence. Pour notre auteur, le choix est clair : si l’on veut apporter des solutions aux problèmes les plus urgents – chômage, panne de la croissance, gonflement de la dette publique -, il faut se garder des demi-mesures et pousser les principes au bout de leur logique.
Cela implique, pour lutter contre le chômage, de balayer d’abord les faux remèdes appliqués par les gouvernements successifs : la création d’emplois publics (comme les « emplois d’avenir », éphémères et le plus souvent sans lendemain), la réduction du temps de travail, mais aussi la baisse des charges sociales, solution de facilité qui gonfle les déficits publics et menace le financement de services essentiels au bien-être collectif. La voie à suivre ? Lever les obstacles qui bloquent le fonctionnement du marché du travail. C’est-à-dire, d’une part, laisser la rémunération s’ajuster à la « productivité marginale » du salarié, ce qui peut ramener les salaires des moins qualifiés à des niveaux très bas ; la solution sociale-libérale sera de remplacer le SMIC par l’instauration d’un revenu minimum. D’autre part, assouplir le Code du travail en remplaçant CDD et CDI par un contrat unique facilitant le licenciement. Et, enfin, remettre en question le statut de la fonction publique. La contrepartie sociale-libérale : des allocations chômage généreuses mais limitées dans le temps, assorties de l’obligation de suivre une formation et d’accepter la mobilité professionnelle – sur le modèle du Danemark.
Cependant, la première condition pour une baisse du chômage est la reprise de la croissance, un objectif qui requiert des mesures tout aussi radicales : réduction drastique des dépenses publiques, baisse de la fiscalité des entreprises pour relancer l’investissement, restauration ou création de la concurrence dans des domaines comme l’enseignement supérieur, concession de services publics à des agences sur le modèle suédois, et même privatisation de la Sécurité sociale… L’avènement de cette forme extrême de social-libéralisme sera peut-être favorisé, comme le suggère l’auteur, par le développement, à travers Internet, de formes d’emploi de plus en plus individualisées, et par l’« ubérisation » qui gagne sans cesse de nouveaux domaines, du transport à la cuisine, de l’hébergement de vacances aux services domestiques.
Comme pour prouver la faisabilité politique de son programme, même par un gouvernement socialiste, l’auteur esquisse dans les premières pages une typologie de la gauche française. Il y distingue trois tendances, héritées de la Révolution : les Montagnards, « radicaux en paroles et en acte » – ce sont aujourd’hui le Front de gauche et les frondeurs du PS ; les Girondins, « radicaux dans leurs propos et modérés dans leurs actes », bien incarnés par François Hollande et la plupart des « barons » socialistes ; enfin les Feuillants, libéraux et animés d’une réelle volonté de réformes – que représente, ou devrait représenter, le duo Valls-Macron.
Qu’on approuve ou non cette vision du « socialisme de l’excellence », qu’on la considère comme l’expression d’un « libéralisme sauvage » ou comme une utopie stimulante, l’ouvrage a le mérite de rappeler que les représentations traditionnelles de la société, plus ou moins héritières de la « lutte des classes », sont de moins en moins pertinentes : le véritable fossé est celui qui sépare le monde de la rente de celui de la concurrence, qu’il s’agisse d’emploi, de statut ou de revenu. Et qu’en politique les étiquettes sont trompeuses : le clivage entre réformistes et conservateurs divise aussi bien la droite que la gauche.