
Il est, au sein de l’équipe, solidaire et soudée, si brillamment remaniée par les soins de M. Bricolage, un ministre, naguère chef du gouvernement, dont il a été publiquement, sinon officiellement, dit et répété, sans que cela suscite le moindre démenti, qu’il ne devrait de comptes qu’au président de la République. Du coup, certains ne se sont pas privés de rappeler que ce statut n’était pas réservé au nouveau locataire du Quai d’Orsay, mais qu’il s’appliquait également à deux de ses collègues, respectivement en charge de la Défense et de l’Intérieur. Les trois principaux ministres régaliens sont donc soustraits à l’autorité de Matignon. Le périmètre sur lequel règne Manuel Valls s’étend-il bien loin au-delà de la porte de son bureau ? N’ayant pas eu non plus son mot à dire touchant le choix des dernières recrues de sa « dream team », quelle autorité peut-il avoir sur Mme Azoulay ou sur le directeur de La Dépêche du Midi ? A-t-il barre sur le ministre de l’Égalité réelle, sur la secrétaire d’État à l’Aide aux victimes ? On comprend mieux pourquoi M. Valls arbore en tous lieux un visage fermé et des mâchoires contractées. C’est dans le vain espoir de n’avoir pas à ingurgiter trop de boas.
Jean-Marc Ayrault savourerait plus pleinement sa revanche sur le prédécesseur qui avait pris plaisir à l’humilier si, conforté d’un côté, il n’était mis au défi de l’autre. On sait le prix que l’ancien maire de Nantes attache à la réalisation de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Mais on sait aussi que Mme Emmanuelle Cosse avait fait de l’abandon de ce projet la condition sine qua non de son entrée au gouvernement. Mis en demeure de choisir entre deux décisions contraires, François Hollande n’a pas manqué, suivant son penchant habituel, d’esquiver la difficulté, c’est-à-dire de différer la solution de ce problème conflictuel et de laisser traîner les choses en espérant qu’elles s’arrangeront d’elles-mêmes. L’expérience aurait pourtant dû lui enseigner qu’un abcès qu’on ne vide pas a toutes les chances de s’envenimer. C’est un référendum local qui tranchera, a décrété le chef de l’État, sans d’ailleurs préciser quelle en serait la date et qui serait appelé à voter. Et pour cause. À peine M. Hollande avait-il parlé, ou plutôt improvisé, une fois de plus, sans avoir même pris le temps de consulter un juriste, il apparaissait qu’il est contraire à la loi de soumettre une décision résultant d’un processus régulier et finalement déclarée d’utilité publique par l’État à l’arbitrage d’un groupe d’électeurs. Il en sera du dossier de Notre-Dame-des-Landes comme de celui de la déchéance nationale, et c’est un boulet que va traîner jusqu’au terme de son quinquennat, qui par bonheur n’est plus trop lointain, le premier magistrat de France.
Autre bisbille en vue : ayant pris goût à l’écologie, Laurent Fabius estime que les affaires climatiques ne lui sont plus étrangères et manifeste l’intention de conserver jusqu’à la fin de l’année la présidence de la COP21, ce que s’apprête à lui contester, avec la combativitude et la vivacitude qu’on lui connaît, Ségolène Royal, promue dans le nouveau cabinet au deuxième rang protocolaire et, comme par hasard, au poste de ministre des Relations internationales sur le climat. Il se trouve que la fonction de membre, a fortiori de président du Conseil constitutionnel, est incompatible avec toute autre fonction publique, ce qui se conçoit assez aisément. À quoi le tout récent gardien de notre loi fondamentale réplique par des arguments si entortillés et si captieux qu’on aurait envie de les dire politiciens. Question (prioritaire ?) : est-ce à M. Fabius qu’il reviendra, ès qualité, de trancher dans un conflit personnel qui est aussi un conflit d’intérêts, où il serait à la fois juge et partie ? Curieuse manière d’inaugurer son mandat !
Cependant, Mmes Cosse et Geoffroy qui, n’étant pas encore ministres, ont voté mercredi contre le projet de révision constitutionnelle présenté par le gouvernement (tout comme l’aurait fait M. Macron s’il avait été parlementaire) se disent fidèles à leurs convictions, ce qui est fort honorable mais parfaitement inadmissible. Il n’est pas d’usage, en effet, de tenir une fois membres d’un gouvernement une proposition et des propos qui auraient dû vous en interdire l’entrée.
Le moins que l’on puisse dire est que les premiers pas du gouvernement de combat dont les journaux de M. Baylet ont célébré la naissance sont hésitants et vacillants. Certes, Valls 3 n’est pas tout à fait mort-né, mais est-il viable ?