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Jean-Sébastien Lefebvre avec Clémentine Forissier
La discussion sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’UE, combinée à la crise des réfugiés et celle de Schengen, fait émerger des réflexions sur la place de chaque pays au sein du projet communautaire. La zone euro émerge comme le nouveau centre de gravité.
L’Union européenne peut-elle continuer à fonctionner à 28 ? Les réflexions sont lancées à Bruxelles et dans les capitales © Flickr / Nadja Tatar
Un diplomate national, sur un ton taquin, a fait récemment remarquer à un petit groupe de journaliste :
“Notez que, depuis janvier (2016, ndlr), soit un mois et demi, nous n’avons pas eu de sommet extraordinaire. ”
Remettre à plat l’UE
Comparé au rythme mensuel de 2015, c’est quasiment un exploit.
Mais aux réunions des chefs d’État et de gouvernement, qui ont jusqu’à présent donné peu de résultats dans la gestion des crises comme celle des réfugiés, a succédé un ballet diplomatique, plus feutré, en petit comité.
Depuis le début de l’année 2016, on dénombre une rencontre des six pays fondateurs de l’UE à Rome, groupe de Visegrad à Prague, mini-sommet Allemagne, Grèce et Turquie à Bruxelles, Vienne a fait la tournée des Balkans, sans oublier les dizaines de rencontres au niveau national du Premier ministre britannique.
Alors que depuis le printemps 2015, le continent se débat avec la zone euro et l’afflux de Syriens fuyant la guerre, David Cameron tente de renégocier la place de son pays dans l’UE, en obtenant quelques nouvelles exceptions taillées sur mesure pour le Royaume-Uni.
Et même si les Vingt-Huit se retrouvent les 18 et 19 février à Bruxelles pour discuter tous ensemble, le développement de ces différents cénacles montre que l’UE, dans sa forme actuelle, n’apparaît plus comme le cadre unique de réflexion pour tenter de régler les problèmes existants.
L’alerte des députés
“Tout le monde le pense, mais personne n’en parle encore, résume ainsi une source européenne haut placée. Difficile de continuer comme aujourd’hui à Vingt-Huit, les responsables se rendent compte que cela ne fonctionne pas, mais, pour le moment, il n’y a pas de proposition concrète pour faire évoluer la structure. ”
Du côté du Parlement européen, la même réflexion fait son chemin.
Les élus socialistes français ont ainsi pris leur plume pour écrire au président de la République. Leur message à François Hollande est sans ambiguïté :
“Cette négociation [ndlr, autour du Brexit], quel qu’en soit le résultat, doit être saisie pour procéder à l’indispensable clarification des perspectives du projet européen. ”
L’UE “n’est plus le principal garant de notre bien-être”
Ainsi, le débat autour du Brexit est en train de se transformer en questionnement existentiel pour l’ensemble de l’UE. À quoi sert l’intégration, si certains souhaitent de nouveau pouvoir discriminer les Européens ? Et si d’autres refusent la solidarité dans l’accueil des migrants ?
Dans la même dynamique, dans leur déclaration commune du 15 février, les quatre pays du groupe de Visegrad (Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovaquie) ont mis les pieds dans le plat.
“L’UE [ … ] n’est plus le principal point d’ancrage et le garant de notre bien-être. ”
Depuis plusieurs mois, les quatre gouvernements sont vent debout contre l’accueil des réfugiés sur leur sol, estimant que l’Europe de l’Ouest n’a pas à les obliger à quoi que ce soit dans le domaine migratoire. Et ce, même si les traités que ces pays ont ratifiés en 2004, lors de leur adhésion, prévoient un système de vote où l’unanimité n’est pas requise. Bratislava a même décidé d’attaquer la décision votée au Conseil des ministres devant la justice européenne.
En attendant Paris et Berlin
Face à ce bloc, un second est en train de se former, constitué des six pays fondateurs de l’UE. Portée par l’Italie, cette rencontre des ministres des Affaires étrangères à Rome, le 9 février, avait pour but de préparer l’anniversaire des 50 ans du Traité de Rome, qui aura lieu en 2017. La France y est allée à reculons, et, à Bruxelles, personne ne pense qu’à part les Italiens, ces pays ont souhaité acter l’existence d’une Europe à deux vitesses.
Mais, selon une source nationale haut placée, la réunion a « donné le sentiment que les pays fondateurs de l’UE avaient des choses à discuter entre eux ».
“Nous avons partagé notre volonté et notre détermination à défendre leur projet européen”, explique-t-elle.
Pour le moment, cependant rien de concret. Le contexte de la crise des réfugiés, tout comme la montée des populismes dans de nombreux pays, empêche aujourd’hui toute initiative pour sortir les institutions de leur impasse
La France et l’Allemagne promettent depuis plusieurs mois une feuille de route d’ici la fin 2016. Mais l’agenda de ce début d’année les pousse à modifier leur calendrier.
“Ce sera juste après le référendum britannique [nldr : prévu pour fin juin 2016], lâche une source française au fait du sujet. François Hollande et Angela Merkel en ont parlé lors de leur rencontre à Strasbourg le 14 février. Peu importe le résultat du vote, il faudra prendre une initiative pour réaffirmer la volonté commune autour du projet européen, en particulier pour les pays de l’euro. ”
A ce moment-là, veut croire cette source, le pic de la crise des réfugiés sera derrière nous.
Redimensionner l’UE
Dans les cercles de réflexions à Bruxelles, cette distinction entre les pays utilisant la monnaie unique, et le reste de l’UE se fait aussi de plus en plus sentir dans les analyses. Le temps de la remise à plat semble venu.
L’ancien député européen britannique Andrew Duff qui collabore maintenant avec le thin
k tank European Policy Center a esquissé les contours d’un nouveau traité, spécifique à la zone euro.
Fédéraliste dans l’âme, il défend l’idée que le cœur du projet européen s’est déplacé de l’UE vers la monnaie unique.
“Je ne parlerais pas de scission, mais la différence entre les pays qui sont dans l’euro ou non est maintenant une réalité. Le risque de désintégration de l’ensemble a plus de chance de venir d’une zone euro qui ne fonctionne pas correctement, que des discussions autour du Brexit”, explique Andrew Duff.
“L’accumulation des crises montre qu’il faut un centre plus fort. Les pays doivent donc discuter pour savoir vers quelle direction ils veulent aller… ou non”, poursuit-il.
Tout en étant dans l’euro, des États comme la Slovaquie ou la Finlande, sont très réticents à toute idée d’intégration. L’ancien élu sous-entend alors qu’ils devront faire des choix et consulter leur population, pour ne pas empêcher les autres d’avancer.
2017, année électorale
Mais pour mener à bien ces discussions, encore faut-il que les classes politiques de chaque pays acceptent de se lancer. Or, en cas d’accord sur le compromis entre l’UE et le Royaume-Uni, lors du sommet des 18 et 19 février, les Britanniques seront appelés à s’exprimer fin juin, début juillet. L’initiative franco-allemande devrait suivre, mais il y aura alors très peu de temps pour que les discussions dépassent le stade du débat, et deviennent concrètes.
En effet, en 2017, les trois grands de la zone euro seront en campagne électorale : la France (mai), l’Italie (mai), et l’Allemagne (septembre). Le rapport des cinq présidents du mois de juin 2015, sur l’avenir de la zone euro, préconisait de lancer les travaux de consolidation de la monnaie unique après ces échéances.
“Dans l’idéal, il faudrait que l’Union européenne et son avenir soient au cœur de ces élections, mais nous ne faisons pas trop d’illusions, lâche désabusée notre source européenne. À moins d’une amplification des crises… »