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Par Bruno Colmant

Il y a quelques mois, quelques pays européens avaient décidé de taxer les transactions financières dès 2016. Quoiqu’on pense de cet impôt, il est intéressant de rappeler la genèse de cette taxe qui est l’héritière de la taxe Tobin.

Cette dernière être replacée dans le contexte historique de son élaboration, à savoir le début des années 1970. A cette époque, le système monétaire de Bretton Woods, qui avait conduit à établir des parités fixes et une convertibilité avec l’or entre les principales devises des pays développés, entrait en déliquescence. Ce régime de taux de change fixe, en vigueur depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, se révélait inadapté aux différentiels d’évolution économique entre les pays partenaires. Son abandon en 1973 mena à l’adoption d’un système de cours de change flottants, toujours en vigueur, avec le dollar.

C’est à cette époque qu’un professeur américain, James Tobin (1918-2002) eut l’idée d’instaurer une taxe de 0,1% à 1% sur les mouvements de change internationaux spéculatifs et d’utiliser les recettes de cette taxe pour financer la croissance des pays en voie de développement. James Tobin soutenait que les mouvements spéculatifs entravaient la marge de manœuvre des autorités monétaires en matière de gestion des cours de change. Il fallait donc les maîtriser, sinon les contenir.

L’idée fut reprise, quelques années plus tard, par le professeur allemand Spahn, qui recommanda de considérer une taxe plus faible (de l’ordre de 0,01% ou un point de base) sur toutes les opérations de change – donc pas uniquement spéculatives – mais avec un taux d’imposition plus élevé sur ces dernières, lorsque les cours de change s’écartent d’une fourchette prédéterminée (ce système est qualifié de two tiers).

La taxe Tobin n’a émergé que lentement des cercles académiques. Elle a pourtant trouvé de nouveaux adeptes depuis la crise asiatique des années 1997-1998 et, plus récemment, dans le sillage des manifestations entourant le concept de globalisation de l’économie mondiale et de crise bancaire.

Malheureusement, l’efficacité économique de la taxe Tobin n’est pas attestée, d’un point de vue théorique et les avis sont partagés quant aux inconvénients de la spéculation que cette taxe entend combattre. En tout état de cause, il est probable qu’une faible taxe ne constitue aucunement un obstacle à des mouvements spéculatifs de grande envergure.

Quels que soient son bien-fondé et son efficacité présumés, l’application de cette taxe ne pourrait être envisagée qu’au niveau mondial, afin d’éviter de rapides et incontrôlables mouvements de capitaux, devenus très mobiles. Les difficultés liées à l’atteinte d’un consensus politique portant sur les modalités sont donc nombreuses, sans compter l’apparition inéluctable de centres off-shore.

D’un point de vue fiscal – et il s’agit de son aspect conceptuel le plus important -, la taxe Tobin vise à frapper non pas un enrichissement réalisé, mais un flux financier. Or, un flux financier, appréhendé de manière autonome, ne correspond pas aux concepts de revenu et de valeur ajoutée, dont la taxation constitue le fondement de la plupart des systèmes fiscaux. Cette taxe constituerait un pur impôt à la source sur le capital (ou sur l’épargne), déconnecté de tout enrichissement éventuel y associé. En Belgique, elle relèverait donc de la même catégorie fiscale que les droits d’enregistrement, les droits de succession ou, dans une matière financière connexe, la taxe sur les opérations de bourse (ou TOB).

De manière plus générale, je reste interrogateur devant les impôts sur le capital ou sa mutation. On peut, en effet, se demander si ces impôts (TOB, droits de mutation immobilière, etc.) ne constituent pas des effets d’aubaines conduisant à ponctionner une mutation d’épargne. Cela est d’autant plus singulier que ces impôts frappent des déplacements de capital vers du capital à risque (actions, immobilier) alors que de simple mutations de flux bancaires ne sont légitimement pas érodés par l’impôt.

Cette taxe aurait, par ailleurs, un effet d’accumulation, conduisant à un prélèvement d’autant plus important que le nombre de transactions affectant un même flux monétaire est important. Un parallèle peut être établi dans ce domaine avec l’ancêtre de la TVA, la taxe de transmission, qui frappait les circuits commerciaux d’autant plus lourdement que le nombre d’intervenants intermédiaires était important. La taxe Tobin pénaliserait donc la démultiplication des transactions financières qui permet justement de répartir sur un grand nombre d’intervenants les risques de change. La liquidité de certaines devises pourrait, le cas échéant, en être affectée.

Enfin, les modalités administratives de perception de la taxe Tobin constituent un autre obstacle à son éventuelle mise en œuvre. Son coût, essentiellement supporté par les institutions bancaires, serait probablement répercuté sur d’autres intervenants, tels les fonds de pension, les organismes de placement collectif et les compagnies d’assurances. La taxe affecterait donc finalement l’épargne des particuliers.

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