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    Angela Merkel : la générosité au prix de l’isolement – Pinel pour « Les Echos »

Au lieu de gommer l’image d’un pays dominant, la crise migratoire semble au contraire avoir ravivé les critiques à l’encontre de l’Allemagne. Pour certains, la décision unilatérale d’accueillir des réfugiés n’est qu’une nouvelle variante de la politique hégémonique de Berlin.

Le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, a rejeté «  l’impérialisme moral » que tenterait d’imposer Angela Merkel au reste de l’Europe. Son homologue polonaise, Beata Szydlo, a demandé un «  tournant » dans la crise des réfugiés après les agressions de Cologne et les attaques terroristes de Paris. L’Italien Matteo Renzi veut monnayer sa solidarité en échange de flexibilité sur les questions budgétaires. Quant au Premier ministre autrichien, Werner Faymann, jusqu’ici soutien infaillible d’Angela Merkel, il s’est converti au contrôle des frontières et a fixé un plafond, ou «  point de référence », de 37.500 réfugiés cette année contre 90.000 l’an dernier.

Mais l’attaque la plus troublante est venue de Manuel Valls. Le Premier ministre a martelé mi-février que la politique d’ouverture des frontières de la chancelière n’était «  pas tenable dans la durée » et répété que la France n’accueillerait pas plus de demandeurs d’asile que les 30.000 convenus dans le plan de relocalisation européen. «  Qu’elle commence déjà par prendre ceux-là », se désespère-t-on à Berlin, même si on fait une différence entre la parole du Premier ministre et celle du président de la République, avec lequel elle s’est entretenue jeudi et vendredi à Bruxelles. L’Allemagne, qui juge avoir été solidaire de Paris en fermant les yeux sur ses difficultés budgétaires et en participant à l’effort militaire pour lutter contre le terrorisme, se sent trahie par son premier partenaire. Elle comprend ses contraintes liées au chômage, aux attentats ou au Front national. Mais trop c’est trop.

Comment en est-on arrivé là ? Pour les partenaires de Berlin, le problème n’est pas européen mais allemand. De Paris à Varsovie en passant par les capitales plus discrètes, l’Allemagne a créé seule un appel d’air en annonçant sur Twitter qu’elle accordait de facto l’asile à tous les Syriens, fin août, puis en déployant une générosité spectaculaire, dans le cas de la chancelière, en faisant des selfies avec les réfugiés. Les politiques allemands rejettent fermement cette thèse et soulignent que les demandeurs d’asile avaient déjà commencé à venir en Europe avant, d’une part, et que Berlin n’est pas responsable de la guerre en Syrie, d’autre part. Pour autant, même le vice-chancelier, Sigmar Gabriel, persifle une Angela Merkel qui «  se fait admirer pour son invitation de plus de 1 million de réfugiés des pays arabes ». En réalité, il y a derrière ce malentendu un malaise profond. « Aussi injuste que cela puisse être, dans beaucoup d’Etats membres la devise [d’Angela Merkel, NDLR] « nous y arriverons » est apparue comme une nouvelle variante de la politique hégémonique de Berlin », constate la « Süddeutsche Zeitung ». « La chancelière part du principe que les autres Etats européens la suivront exactement comme dans la crise de l’euro – selon le principe que rien ne marche sans l’Allemagne », ajoute la « Frankfurter Allgemeine Zeitung ». Pour Martin Schulz, le président du Parlement européen, l’Allemagne paie la «  facture » de son arrogance durant la crise de l’euro. Il en veut au ministre des Finances, Wolfgang Schäuble, qui voulait sortir la Grèce de la zone euro l’été dernier.

«  Cela fait cinq ans que l’Allemagne pratique une forme d’intimidation culturelle en s’érigeant en modèle, sans se rendre compte à quel point elle énerve ses partenaires, juge Ulrike Guérot, directrice du think tank European Democracy Lab. Chacun, pour des raisons spécifiques, veut réagir à cette situation hégémonique. » Pour l’Italie, la frustration peut concerner le silence de Berlin face à ses appels à l’aide depuis trois ans pour faire face à l’arrivée massive de demandeurs d’asile via l’île de Lampedusa. Pour la Pologne, cela peut concerner l’oléoduc Nord Stream 2 avec le russe Gazprom, que Berlin considère avec cynisme comme un simple projet «  commercial » malgré sa portée géopolitique. Pour d’autres, c’est sa politique d’austérité ou de sortie du nucléaire.

Angela Merkel, qui a réussi à maintenir une Europe unie dans les crises grecque ou ukrainienne, veut tenir le cap. Pour réduire « sensiblement » le flux de réfugiés sans renier ses valeurs humanistes, elle prône un vaste accord entre l’Union européenne et la Turquie, le contrôle des frontières extérieures et des mesures nationales réduisant l’attrait de son pays. Tacticienne, elle met surtout ses partenaires devant leurs responsabilités en leur disant : vous pouvez aussi suivre la voie de Budapest, fermer les frontières intérieures, tirer un trait sur Schengen et renvoyer tous les réfugiés en Grèce. Vous le voulez vraiment ? Mais sa politique des petits pas exige de la patience. Surtout pour elle… Avant des élections régionales clefs le 13 mars, son parti conservateur CDU ne cesse de chuter dans les sondages. D’ici là, Angela Merkel compte sur un sommet extraordinaire entre l’UE et la Turquie, qu’elle a obtenu vendredi à Bruxelles. C’est toujours ça de pris.

Les points à retenir

Six mois se sont écoulés depuis que la chancelière Angela Merkel a décidé d’accueillir les demandeurs d’asile qui étaient bloqués en Hongrie.
L’Allemagne, qui a accueilli 1 million de réfugiés en 2015, se juge moralement exemplaire, mais se sent injustement abandonnée par ses partenaires.
Ces derniers lui reprochent d’avoir pris dans cette affaire une décision précipitée, qui met aujourd’hui en péril l’espace Schengen.

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