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Le Canada et son premier ministre pourraient devenir interlocuteurs pour la Syrie de Bachar al-Assad

« Qu’est-ce que vous voulez que je fasse ? La guerre à la Russie ? », aurait répondu le secrétaire d’État John Kerry à des travailleurs humanitaires syriens qui critiquaient la passivité des États-Unis face aux raids de Moscou. C’est la même réponse que nous pourrions servir à tous les commentateurs et éditorialistes va-t-en-guerre canadiens et québécois qui sont montés aux barricades et ont tiré à boulets rouges sur Justin Trudeau parce qu’il retirait ses avions CF-18 du ciel de l’Irak et de la Syrie.
Leurs critiques ne s’arrêtent pas au premier ministre canadien. Ils mitraillent également le président Obama, qu’ils accusent d’avoir lamentablement échoué et de n’être plus qu’un figurant au Moyen-Orient. Dans une lettre d’opinion publiée le 12 février dans les pages du Devoir, Nicolas Tenzer — qui se présente comme le président d’un Centre d’étude et de réflexion pour l’action politique et directeur de la revue Le Banquet — entonne le même air martial sur ce constat : « Ailleurs, le printemps arabe a aussi été réprimé. Nulle part il ne l’a été avec une telle violence qu’en Syrie ».Un peu « d’étude et de réflexion » lui aurait permis de trouver l’explication. Les autres pays étaient situés dans la sphère d’influence américaine, alors que la Syrie est dans la sphère d’influence russe. En Égypte, les États-Unis ont appuyé le coup d’État du général Sissi. En Syrie, ils arment et conseillent l’opposition au président Bachar al-Assad, avec l’aide de la France, la Turquie, l’Arabie saoudite et le Qatar.
Après le « succès » des opérations militaires en Irak et en Libye, ces pays croyaient pouvoir réserver le même sort à la Syrie. Mais le gouvernement syrien s’est montré plus coriace. Il a pu bénéficier de l’appui de l’Iran — qui savait que, si la Syrie tombait, elle serait la prochaine cible sur la liste — et de la Russie, qui chercheà protéger sa sphère d’influence.Un nouveau rôle pour le Canada ?
Si le premier ministre Trudeau a paru confus dans son explication du retrait des CF-18, son ministre de la Défense, Harjit Sajjan, a été plus clair dans une entrevue au Globe and Mail (11 février 2016). Contrairement au président français, François Hollande, et au secrétaire à la Défense américain, Ashton Carter, Harjit Sajjan a refusé de dire que le Canada était en guerre. « C’est un conflit à hauts risques », s’est-il contenté de dire.Les CF-18, rappelle-t-il, étaient autorisés à survoler l’Irak et la Syrie, sans l’autorisation du gouvernement de ce dernier pays. « Nous respectons les frontières internationales », déclare-t-il soulignant que le ministre irakien de la Défense était « ravi » du rôle joué par le Canada en soutien aux combattants kurdes. D’autant plus que Harjit Sajjan s’est empressé de déclarer que le soutien du Canada aux Kurdes irakiens n’était pas un « soutien à l’indépendance du Kurdistan ».
De retour à une politique pearsonnienne ?« Canada is back ! », a déclaré avec enthousiasme le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon la semaine dernière ; et il n’est pas interdit de penser qu’il faisait référence au rôle que le Canada a déjà joué par le passé sur la scène diplomatique mondiale.
Cela viendrait conforter les nombreux commentateurs, en provenance du champ gauche de la politique canadienne, nostalgiques des Casques bleus de l’époque de Lester B. Pearson. Ce dernier avait obtenu le prix Nobel de la paix pour son intervention dans la crise de Suez de 1956.Rappelons les faits. Le président égyptien Nasser nationalise la corporation britannique qui gérait le canal de Suez. La Grande-Bretagne, la France et Israël envahissent l’Égypte pour rétablir le contrôle européen sur le canal. Les États-Unis condamnent leur action et demandent à ces pays de respecter la charte des Nations unies. Washington craint que l’invasion ne profite à l’Union soviétique dans cette région stratégiquement importante que les États-Unis convoitent.
Le Canada est préoccupé par les dissensions qui éclatent entre Londres, Paris et Washington. Le ministre des Affaires étrangères, Lester B. Pearson, propose, après s’être entendu avec Washington, une mission de paix en Égypte. Il déclare au secrétaire d’État américain, John Foster Dulles, que le Canada souhaite « aider la France et la Grande-Bretagne » et ajoute qu’il voudrait « faire en sorte qu’il soit possible pour ces pays de se retirer en perdant la face le moins possible et les ramener à se réaligner avec les États-Unis ». L’Égypte acceptera finalement les conditions du règlement proposé par Pearson : retrait des troupes étrangères et installation d’une force onusienne de Casques bleus à la frontière israélo-égyptienne.Aujourd’hui, avec le retrait de ses CF-18 du ciel syrien et le respect des frontières internationales, le Canada devient un interlocuteur possible auprès de Bachar al-Assad, de même qu’avec la Russie et l’Iran, si Justin Trudeau suit la suggestion de son mentor Jean Chrétien qui l’incitait à « garder de bonnes relations avec les dirigeants mondiaux ».
Avec la « trudeaumanie », qui est amplifiée à l’échelle mondiale par les médias américains, le Canada et son premier ministre pourraient s’avérer beaucoup plus utiles pour Washington sur la scène diplomatique internationale que six chasseurs CF-18 dans le ciel de la Syrie, particulièrement si les États-Unis ne veulent pas en découdre actuellement avec la Russie, du moins pas avant que l’OTAN ait terminé le renforcement récemment annoncé de ses troupes en Europe de l’Est.