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Jacques Hubert-Rodier
L’arrivée de Jean-Marc Ayrault au Quai d’Orsay ne changera rien à une politiqué étrangère française marquée par son statut de plus en plus affirmé de puissance moyenne. Il est urgent de lui redonner une identité pour endiguer sa perte d’influence.
« Pour que tout reste comme avant, il faut que tout change », disait le héros du « Guépard », Tancrède. La politique étrangère de la France se définirait plutôt par la phrase contraire : pour que tout reste comme avant, il faut que rien ne change. Certes le ministre des Affaires étrangères a changé de titulaire : Jean-Marc Ayrault a succédé à Laurent Fabius, devenant ainsi le troisième ancien Premier ministre français de suite après Alain Juppé à occuper le Quai d’Orsay. Et si le style ne sera assurément pas le même, le nouveau chef de la diplomatie française n’a pas l’intention de changer fondamentalement de cap. Il y a trente-deux ans, lorsque le général de Gaulle effectua une grande tournée en Amérique latine, il s’agissait alors d’appeler les pays latino-américains à faire contrepoids aux deux grands blocs constitués autour des Etats-Unis et de feu l’URSS. La visite, cette semaine, au Pérou, en Argentine et en Uruguay du président François Hollande ne peut s’inscrire dans cette continuité. Non seulement les blocs n’existent plus, les Etats-Unis ne sont plus l’hyperpuissance d’hier, mais le monde est entré dans une zone de turbulences et est devenu « apolaire », selon Laurent Fabius. Ni la Russie de Vladimir Poutine, en dépit de ses intuitions stratégiques sur les vides laissés par les Américains dans les confins orientaux de l’Europe et au Moyen-Orient, ni la Chine de Xi Jinping, qui consolide sa présence militaire en mer de Chine, ne sont en mesure d’établir leur hégémonie au-delà de leur voisinage proche. Voire même de constituer des points régionaux d’équilibre des forces dans le monde. Dans ce contexte, la France ne peut plus incarner une troisième voie. Quant à l’Europe, confrontée à une multitude de crises, elle est obligée de se replier sur ses propres problèmes et de faire face à un retour de l’affirmation souverainiste de chacun de ses Etats membres. Elle se retrouve du coup dans l’impossibilité de prendre le rôle qui aurait pu être le sien dans le monde si, après l’Union économique et monétaire, elle avait réellement lancé une politique étrangère et de sécurité commune. Cette mise en commun de la politique extérieure, qui, aux yeux de certains, aurait constitué pour la France une sorte de levier pour son influence dans le monde, est aujourd’hui un vœu pieux. Pis, la France s’est retrouvée relativement seule lors de son intervention au Mali ou en Centrafrique. Et, en dépit de ce sursaut de la puissance militaire qu’elle est encore, l’influence de la France semble bien loin de sa gloire passée.
Fondamentalement, elle est devenue une puissance moyenne, impactée par son propre rétrécissement économique sur la scène mondiale, qui ne doit plus sa force sur la scène internationale qu’à son statut de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies et de puissance nucléaire. Comme le confiait Laurent Fabius dans un récent entretien avec le directeur de l’Iris, Pascal Boniface (« Revue internationale et stratégique » no 100), il faut être lucide : « Nous disposons de beaucoup d’atouts, mais les dynamiques du XXIe siècle ne seront pas toutes spontanément en notre faveur. » On voit déjà cette tendance à l’œuvre. L’ancien ministre a ainsi proposé de relancer des initiatives à l’ONU ou au Proche-Orient. Mais il est peu probable, si ce n’est impossible, que sa proposition d’« encadrer les droits de veto aux Nations unies » en cas de massacre de masse soit adoptée un jour par le Conseil de sécurité.
Sur la Syrie, la France n’a pas joué dans les dernières semaines un rôle déterminant. Dans une sorte de relent de l’ex-guerre froide, les Etats-Unis et la Russie ont annoncé être tombés d’accord sur un cessez-le-feu en se passant de l’avis de la France et des autres. De même, Israël a exprimé son mécontentement devant la proposition française de lancer une conférence internationale pour débloquer le processus de négociation israélo-palestinien. Certes, Jean-Marc Ayrault, laisse-t-on entendre dans son entourage, abandonnerait l’idée de son prédécesseur de reconnaître quasiment automatiquement l’Etat palestinien en cas d’échec des négociations. Ce qui était pour Israël un encouragement pour les Palestiniens à faire échouer toute négociation. Mais cette initiative ne dépassera pas un stade formel sans influence sur le terrain. Elle ne constitue pas ce qui fut en son temps une véritable politique arabe de la France, obligée aujourd’hui de naviguer à vue depuis les printemps arabes de 2011 entre soutien à l’Egypte du maréchal Sissi et rébellion en Syrie. De plus, Paris, depuis la conclusion d’un accord sur le programme nucléaire iranien en juillet, doit faire le grand écart entre ses amitiés saoudiennes et son intérêt économique pour l’ennemi iranien. Ce qui complique encore un peu plus son jeu dans la région.
Dans un récent ouvrage « Péchés capitaux – les 7 impasses de la diplomatie française », le Club des Vingt, qui réunit d’anciens ministres des Affaires étrangères comme Hervé de Charette, Roland Dumas, Hubert Védrine, des diplomates et des personnalités, s’inquiète de la dérive de la politique étrangère sous Sarkozy et Hollande. « La France semble avoir perdu l’indépendance et l’intelligence des situations qui lui donnaient un rôle à part », écrivent-ils. Pour eux, sa politique étrangère est « calquée sur celle des Etats-Unis ». Mais il n’est pas certain que les recettes du Club, comme celle de constituer un axe Berlin-Paris-Moscou, soient applicables. Fondamentalement, la politique étrangère de la France est en pleine crise d’identité et sans boussole ferme.